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LA SCOUINE

Le maire, M. Aimable Tisseur, marchand de bois et de charbon, avait cru de son devoir de prêter sa voiture pour aller chercher Monseigneur, et il avait chargé l’un de ses hommes de la conduire. Il lui avait fait revêtir l’une de ses redingotes, un peu ample il est vrai, mais encore bien, l’avait coiffé du haut de forme qu’il avait porté lorsqu’il avait été élu premier magistrat de la municipalité, et lui avait fait cadeau d’une paire de gants noirs achetés lors de l’enterrement de son beau-père. Pour être à la hauteur, le cocher d’occasion s’était acheté le meilleur cigare à cinq sous qu’il avait pu trouver chez la mère Lalonde, la marchande de tabac et de bonbons.

La température toutefois, gâta un si beau programme. Il commença à pleuvoir le matin, et jusqu’au soir, ce ne fut qu’une série d’averses accompagnées de grand vent. Comme résultat, le cortège ne se composait guère de plus de vingt voitures.

À l’entrée du village, une pauvre maison noire et basse, l’air bossue, était décorée d’images de Saint Joseph et de Sainte Anne. Sur le perron, abrité par un immense parapluie à gros manche jaune se tenait assis un bonhomme d’une soixantaine d’années. C’était le père Gagner, un malheureux qui, depuis de longues années, souffrait de rhumatisme inflammatoire et qui avait essayé en vain tous les remèdes possibles. Il s’était imaginé que l’évêque pourrait faire un miracle et le guérir. Lorsqu’il vit venir la procession d’équipages, il se leva péniblement et s’avança au bord de la route. Comme la voiture de Sa Grandeur allait passer, il se laissa tomber à genoux dans la boue, implorant :

— Monseigneur, guérissez-moi. Pour l’amour du Bon Dieu, Monseigneur, guérissez-moi.