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Page:Laberge - Peintres et écrivains d'hier et d'aujourd'hui, 1938.djvu/80

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œuvres n’étaient pas coulées dans un moule uniforme. Dans certains tableaux, il s’attachait surtout à rendre l’image matérielle, le jeu des couleurs, tandis que dans d’autres, il s’efforçait surtout de rendre la poésie, le rêve, le mystère qu’il sentait si vivement. Plusieurs de ses œuvres présentaient ainsi des contrastes frappants de facture, tellement qu’on pourrait les croire peintes par deux artistes différents.

Arthur Rosaire a été l’un de nos meilleurs paysagistes. Il était l’un des artistes dont j’aimais le plus la peinture et il m’a toujours fortement intéressé. À près de quarante ans de distance, je revois encore parfaitement, accrochées à l’entrée de l’ancienne salle de l’Art Association, Square Phillips, les deux premières toiles de Rosaire que j’ai vues, deux paysages dans une note grise, des arbres fort habilement rendus et donnant admirablement l’impression d’une triste journée d’octobre. C’était simple, mais plein de sentiment et agréable à regarder. En 1900, je vis de lui un autre paysage dans la même note, Sunless day qui me plut beaucoup.

La double physionomie du talent de l’artiste, celle du réaliste et celle du poète ne s’afficha jamais de si évidente façon qu’au Salon de 1908 où il exposait deux toiles d’une rare beauté, mais d’un genre absolument différent et qui furent fort remarquées : Night et Sugar Bush. La première était un effet de nuit, œuvre pleine de sentiment, de rêve et de mystère, véritable vision de poète, tandis que dans le second tableau, l’artiste s’affirmait surtout et d’éclatante façon comme un vigoureux coloriste. Le peintre nous montrait une érablière au printemps. Les ombres des arbres se reflétaient sur la neige où elles formaient un très curieux dessin, une bizarre broderie. On sentait là un grand souci de vérité et un sens très vif d’observation. Deux paysages qui mettaient leur auteur au premier rang de nos artistes.

Et toujours, il en était ainsi. Tantôt, c’était le poète et tantôt, le hardi coloriste, le peintre épris de réalité qui s’affirmait. Ainsi, l’année suivante, en 1909, il exposait trois peintures qui attestaient le pinceau du maître : Street scene, Coal Barges et Night effect. L’effet de nuit et les barges chargées de charbon offraient un contraste frappant. La poésie et la réalité se côtoyaient dans deux tableaux du même artiste.