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QUAND CHANTAIT LA CIGALE

dîner, son fils le pousse devant lui dans sa chaise à roulettes, le conduit chez le forgeron et le ramène le soir.

Nous passons devant des vergers remplis de pommes.

C’est une joie de laisser derrière soi les laides maisons et leurs parterres de mauvais goût, pour s’enfoncer dans la campagne et la solitude. Nous croisons bien une auto de temps à autre, mais elle disparaît bientôt à la vue et nous allons sur la calme route, bordée d’ormes, de chênes et d’érables ; nous allons sur la route grise qui s’allonge entre les verges d’or et de petites fleurs mauves. Nous cueillons quelques tardives framboises, quelques framboises d’arrière saison, que Dearest trouve délicieuses.

Nous avançons toujours, écoutant la mélopée des fils télégraphiques, au-dessus de nos têtes, au bord du chemin.

De chaque côté de nous, ce sont des chaumes, des pacages dans lesquels ruminent paisiblement de grands troupeaux de vaches, des prairies où le trèfle repousse, des carrés de pommes de terre.

Tout à coup, nous apercevons une clôture neuve, prétentieuse et laide, entourant une pièce de sarrasin. Au milieu de l’enclos, se dresse une haute croix noire. C’est le nouveau cimetière. À un bout du terrain, nous distinguons entre les tiges rouges du grain, un amas de terre grise indiquant une tombe. C’est là que repose celui qui portait mon nom, le fermier mort au commencement de l’été. Il est là seul dans ce domaine des trépassés, dormant de l’éternel sommeil, pendant que, dans sa maison et partout ailleurs, la vie continue…

Sur un petit coteau à notre gauche, s’étend un vaste champ de maïs. Soudain, nous voyons s’élever de là un grand vol d’oiseaux. Ils sont cinq cents, huit cents, mille peut-être, une grosse nuée grise qui s’abat sur un orme élevé. Ce n’est qu’une halte d’un moment. Au milieu d’un pépiage, d’un caquetage, comme au départ d’une joyeuse excursion, les oiseaux, comme à un signal, repartent tous ensemble. Nous les regardons venir. Ils vont, au-dessus des fils télégraphiques, au-dessus de nous. À leur passage, nous entendons le léger bruissement de leurs ailes. La nuée grise, vivante, passe au-dessus du cimetière, et s’éloigne, s’en va dans le ciel bleu, au-dessus des champs, des arbres.

Deux minutes plus tard, une nouvelle volée aussi nombreux que la première, part à son tour du champ de maïs. Pendant quelques instants, elle plane à la hauteur de la cime des arbres. La nuée grise