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Page:Laberge - Quand chantait la cigale, 1936.djvu/14

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QUAND CHANTAIT LA CIGALE

ment malgré l’ondée qui les trempe. Puis, il y a la bonne odeur des feuilles de jeunes peupliers, cette bonne odeur sirupeuse et légèrement épicée, qui me ramène aux jours où j’étais enfant.

Sur la véranda, j’écoute de nouveau tomber la pluie.

La terre est fleurie, le gazon et les arbres sont verts, mon fils Pierre joue dans la boue, mais malgré cette blonde image de la jeunesse et malgré le printemps, je songe à la mort.

Je songe aux décompositions dans le petit cimetière à côté de la vieille église. Je pense à la vieille grand’mère que l’on a emportée un clair et tiède matin d’automne, il y a longtemps, et que l’on a déposée dans le calme enclos où reposaient déjà le compagnon de sa vie et plusieurs de ses filles parties avant elle. L’on avait enfermé dans une étroite boîte de bois noir la dépouille mortelle de l’aïeule presque centenaire puis, l’on avait glissé le cercueil si léger, semblait-il, dans un petit corbillard que traînait un cheval de labour. Et le cortège des parents et des amis, vêtus de noir et le chapeau entouré d’un crêpe flottant jusque dans le dos, s’était mis en marche derrière la voiture funèbre, suivant la route qui longe la rivière, entre les grands liards au feuillage jauni et coloré par l’automne. Les membres gênés par leurs habits du dimanche, les villageois et les fermiers allaient d’une allure gauche et lourde. Leurs pas traînaient pesamment sur la route poussiéreuse, pendant qu’ils causaient entre eux de choses indifférentes. Le maigre cheval attelé au chariot trottinait par moments, tellement il sentait sa charge légère. Et légère aussi était la peine de ceux qui formaient la suite. Ils accompagnaient l’ancêtre au cimetière par politesse, par suite de l’habitude qu’ils avaient d’en agir ainsi quand l’occasion s’en présentait, quand un membre de la famille mourait. Certes, l’aïeule avait été la plus brave femme au monde, mais elle avait été si douce, si tranquille, elle avait toujours tenu un rôle si effacé, elle avait passé en faisant si peu de bruit, qu’elle avait traversé la vie presqu’inaperçue. Et maintenant qu’elle était morte, il n’y avait pratiquement rien de changé. Ses parents et ses proches qui la voyaient si rarement ne la verraient plus, voilà tout.

Personne peut-être ne la regrettait.

Maintenant, la vieille cloche de l’église faisait entendre un glas lugubre et un petit fils de la défunte, portant l’habit de l’ordre de saint François venait recevoir le corps à la porte du lieu saint. Il clamait des psaumes, récitait le De Profundis, gémissait le Miserere.