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Page:Laberge - Quand chantait la cigale, 1936.djvu/38

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CARPE DIEM


Hier, l’oncle Moïse a fauché le foin dans le petit verger en arrière de la maison. Ce midi, lorsque je reviens de la ville, il le met en veillottes afin qu’il achève de sécher avant de l’engranger. De loin, l’odeur capiteuse du trèfle fané m’arrive, me grise, caresse mes sens, me remplit de joie. De toute la force de mes narines, j’aspire cette bonne senteur. Je voudrais être nu pour me baigner dans cet arôme qui flotte dans la campagne.

Rapidement, je me débarrasse de mes vêtements de bureau ; je passe une chemise négligée et un vieux pantalon, et je vais me jeter sur un tas de foin, près d’un pommier éborgné et mutilé. Je me couche sur ce lit odorant et moelleux dans lequel mes membres enfoncent délicieusement. Étendu sur le dos dans cet amas d’herbe molle, la figure tournée vers l’immense ciel bleu, je goûte un repos, une paix, un bonheur infinis. Je n’échangerais pas mon lot pour celui d’aucun chef d’état, d’aucun potentat, d’aucun millionnaire.

Le soleil ardent chauffe la terre. C’est l’été vainqueur, accablant, oppressant, tyrannique. Juillet met un éclatant vêtement de lumière à la vieille maison blanche peinte à la chaux. Il me semble voir passer comme des frissons, des vibrations, sur son antique charpente. À cette heure, malgré son grand âge, la demeure ancestrale semble vivre d’une vie intense.

Sur une branche du maigre pommier en face de moi, un rossignol égrène ses trilles dans l’air chaud et parfumé. Tout d’abord, il relève le cou, renverse la tête en arrière, puis il lance ses notes. Et c’est comme l’hymne de joie et d’allégresse de la nature.

L’oiseau se repose un moment, puis de nouveau, il redresse son