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QUAND CHANTAIT LA CIGALE

était là, agenouillée près de son seau, et j’entendais le dur frottement de sa brosse sur le bois.

Tout à coup, j’ai fait cette remarque :

— Je serais bien curieux de savoir pour qui tante Eulalie se donne tant de mal.

Et Dearest a répondu :

— Mais c’est que le curé fait demain sa visite de la paroisse.

Je me suis senti accablé par la vanité de tout ce labeur.

Non seulement l’extérieur, mais l’intérieur de la maison a subi un grand ménage.

Cela est puéril, touchant et triste.

— Elle n’a peut-être jamais attendu personne autre que le curé, me dit Dearest.

Et ce mot me glace.

N’avoir jamais attendu quelqu’un que l’on aime, n’avoir jamais éprouvé ce frisson de l’attente qui fait battre le cœur avec une violence inouïe et une infinie douceur, ce frisson qui fait vibrer tout l’être, ce n’est réellement pas avoir vécu.

Ah oui !, l’attente douloureuse, angoissante, même l’attente désespérée, oui tout, plutôt que cette morne et plate existence sans émotion.

Et dans le soir noir et froid, je distingue péniblement l’ombre agenouillée sur la véranda, près du seau, et j’entends comme une âpre plainte le dur frottement de la brosse sur le bois…