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Page:Laberge - Quand chantait la cigale, 1936.djvu/55

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LA MONTRE PERDUE


Le train de quatre heures était arrivé depuis quelques minutes, il avait jeté à la petite gare une douzaine de voyageurs qui, sortant de l’étuve de la ville, respiraient avec délices l’air frais de la campagne. Ils suivaient l’étroit trottoir en béton et, sans hâte, se rendaient chez eux.

Coiffée de son éternelle capuche noire, tante Eulalie sarclait les fèves dans son jardin lorsqu’en levant la tête, elle vit deux femmes arrêtées, courbées en deux et paraissant chercher quelque chose dans l’herbe à côté de la route. Un peu surprise, elle les observa un moment, les mains appuyées sur sa pioche. Ce qu’elle voyait, c’était deux croupes, l’une enveloppée d’une jupe bleue à gros pois blancs et l’autre, gainée de vert. Les deux femmes fouillaient de leurs mains parmi les trèfles d’odeur et le mil, à côté du trottoir, près de la clôture. Elles écartaient les hautes herbes, avançant, reculant, toujours courbées, la croupe proéminente.

Tante Eulalie sortit du carré de fèves et, lentement, s’avança vers les deux étrangères, mais en restant en dedans de son terrain.

— Vous cherchez quelque chose ? demanda-t-elle timidement.

Les deux femmes se redressèrent. Celle à la robe bleue à pois blancs, une grosse blonde fanée, tout le sang à la tête d’avoir été ainsi penchée regarda un moment tante Eulalie sans parler.

— Oui, j’ai échappé ma montre, dit-elle enfin, et je ne la trouve pas.

Elle paraissait furieuse et elle avait répondu sur le ton qu’elle aurait pris pour dire : On m’a chipé ma montre.

— C’est une montre d’or que son mari, l’avocat Leriche, lui a donnée, l’an dernier au jour de l’an, expliqua sa compagne, vêtue de vert.