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Page:Laberge - Quand chantait la cigale, 1936.djvu/65

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NOCTURNE


La nuit tiède, étrange et mystérieuse.

Un épais brouillard enveloppe toutes choses. Les arbres, les maisons, les poteaux télégraphiques sont submergés par cette blancheur humide qui couvre la terre. La rivière est disparue, effacée par ce voile opaque. Elle roule invisible sous cette vapeur. L’on n’aperçoit rien, l’on ne distingue rien que le sommet des hautes tours de fer servant à la transmission de la force électrique qui, surnageant au-dessus du brouillard, ont l’apparence de mâts de goélettes voguant sur l’immensité de la mer grise ; rien que quelques sombres masses de feuillage, que quelques cimes de peupliers, que quelques toits qui semblent flotter dans l’air, et une fantastique lune jaune entourée d’un halo violet et verdâtre.

Et un homme marche dans la solitude.

Sous les grands arbres, près de la petite maison blanche, il va et vient dans la nuit tiède, étrange et mystérieuse.

Il marche depuis longtemps. Sur la terre grise, pâlement éclairée par la lune, il va d’un pas lent, régulier.

Peu à peu, tous les bruits se sont éteints. Un calme immense plane sur la campagne. Les arbres, les habitations, dorment enveloppés dans le brouillard.

L’homme marche toujours.

Là-bas, au loin, quelques lumières s’aperçoivent faiblement. Ce sont les demeures des humains : là où l’on souffre.

Et l’homme marche interminablement, sans trêve. Parfois, sa chaussure heurte un caillou, sa semelle rend un son mat, et il continue son va-et-vient monotone dans la nuit.