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LA VIEILLESSE SOLITAIRE


Comme je franchissais la petite barrière du verger en arrivant, j’ai aperçu dans le jardin, à côté, une vieille femme à cheveux blancs avec tante Eulalie. Toutes deux, elles regardaient les rosiers chargés de fleurs. Je ne voyais la visiteuse que de dos et ne pouvais la reconnaître, mais elle semblait très âgée. Elle avait la tête penchée et paraissait maigre et sèche.

— Nous avons de la visite aujourd’hui, me dit un moment plus tard l’oncle Moïse en m’apercevant.

— Oui ? fis-je, songeant à la figure entrevue dans le jardin.

— Ta tante Odile.

— Vous pouvez bien lui donner ce nom si cela vous plaît, mais jamais une femme ne m’a été étrangère comme elle.

Oui, étrangère, plus même qu’étrangère, car j’éprouve contre elle comme un sentiment de révolte. Jeune encore elle est devenue veuve avec un fils unique. Bigote à outrance, son désir dès ce moment, a été de faire de ce fils un prêtre. Elle l’a élevé dans toutes les pratiques de la piété ; elle l’a poussé dans la vie religieuse.

À peine adolescent, il est entré dans l’ordre des Franciscains. Elle l’a vu avec joie revêtir la robe de bure et chausser les sandales. Avec allégresse, elle a consenti aux longues séparations. Son fils a reçu le sacrement de l’ordre. Il a obtenu le titre de père. À ses pieds, elle s’est agenouillée au confessionnal et lui a fait l’aveu de ses fautes ; elle l’a vu officier à l’autel, offrir le sacrifice et l’a entendu prêcher aux fidèles.

Sa joie alors a été complète.