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QUAND CHANTAIT LA CIGALE

L’été se passe et il échappe au châtiment que je rumine.


Acte deuxième

L’été suivant, nous retournons à Chateauguay. Dès les premiers jours, nous découvrons dans la touffe de chèvrefeuille qui se penche sur la véranda un nid de fauvettes renfermant quatre petits œufs bleu azur. Tout de suite, je prévois le danger qu’il court, mais je veillerai. Depuis le moment où j’arrive l’après-midi jusqu’à celui où je me couche, je surveille.

Décidément, nous sommes venus trop tôt à la campagne. Il pleut, il fait froid et la terre est détrempée. Que faire ? La maison est trop humide pour s’y enfermer et nous ne pouvons nous immobiliser dans l’étroite cuisine, sur des sièges rudes et sans confort, près du petit poêle qui fume ? Que faire ? Marcher sur les huit ou dix pieds de véranda à notre disposition ?

Ce serait la seule chose pratique, mais il ne faut pas effaroucher la mère fauvette et la faire s’envoler de son nid. Alors, nous nous promenons sur l’herbe humide et dans la boue.

Au lieu de s’améliorer la température devient désagréable au possible. Une pluie froide tombe pendant des heures et le vent fait rage. Il secoue avec une violence inouïe la touffe de chèvrefeuille dans laquelle est édifié le nid de la fauvette. Les branches de l’arbuste s’élèvent et s’abaissent, s’agitent avec frénésie. Attaché à un rameau, le petit nid est ballotté par la tempête comme un canot sur les vagues en furie. Vaillamment, courageusement en dépit des éléments déchaînés, la fauvette reste rivée à son nid. Elle tient au chaud les petits œufs bleu ciel qu’elle couve avec tant d’amour et d’où sortiront bientôt les petits qui seront la joie de la campagne. Pour ne pas la déranger, pour ne pas l’effrayer, nous sacrifions la petite promenade sur la véranda et nous pataugeons dans la terre détrempée, nous marchons dans l’herbe toute ruisselante de pluie.

Décidément, la température devient impossible. La pluie glacée tombe sans arrêt et le vent continue de souffler avec violence. Impossible de rester dehors et, dans la maison, l’air est trop cru, trop humide. Si nous ne voulons pas prendre mal, fuyons. Nous retournons à la ville confiant à la Providence le petit nid de la fauvette.

Le mauvais temps persiste et il s’écoule plus d’une semaine