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Page:Laberge - Quand chantait la cigale, 1936.djvu/90

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QUAND CHANTAIT LA CIGALE

avant que nous retournions à la campagne. En arrivant à la petite maison blanche, vite je vais voir au nid. Désastre ! Le nid est disparu. Une main ou une griffe brutale l’a arraché du rameau auquel il était attaché. Il n’en reste que quelques lambeaux qui pendent à une branche. La Providence l’a bien mal gardé. Je sais à qui attribuer cette tragédie. C’est encore l’infâme chat de tante Eulalie qui a commis ce nouveau meurtre. Je vois la scène comme si j’avais été témoin de l’assassinat. Je vois le chat épiant les mouvements de la mère fauvette apportant la pâtée à ses petits enfin éclos et je vois l’animal faisant un bond, déchirant le nid d’un coup de patte et croquant ensuite à belles dents les oiselets tombés sur la véranda.

Ma fureur est indicible. Je me sens pour ce chat et pour toute la race féline une haine qui ne s’éteindra jamais. Je me jure bien… mais à quoi bon ? Ce chat connaît son affaire. Il ne commettra pas d’imprudence ; il est rusé, intelligent et sait éviter le danger.

Tout l’été, il s’est tenu au large de son ennemi. Je l’ai vu dans le « tambour » de la maison, sous la remise, là où il savait être en sûreté. La saison s’est écoulée et ses crimes sont encore impunis.


Acte troisième

Agréable surprise pour ma première visite de l’été à Chateauguay. En arrivant à la vieille maison blanche, je vois filer en boitant le chat de tante Eulalie. Il marche sur trois pattes. J’apprends qu’il s’est fait prendre l’autre dans un piège à putois et qu’elle a été presque coupée. La chair, les muscles ont été tranchés. Avec trois pattes les oiseaux seront dorénavant à l’abri de sa férocité. Plus de tragédies à craindre. Les fauvettes pourront faire leur nid dans le cerisier sauvage ou dans le chèvrefeuille. Il sera en sûreté.

Pendant plus d’un mois après notre arrivée à la campagne j’ai vu le chat aller et venir en marchant sur trois pattes, puis j’ai été des semaines sans l’apercevoir. Et voilà que j’apprends qu’il est mort. Il a trouvé sa fin en mangeant sous la remise des tartines empoisonnées destinées aux rats. Les rats ont parfois du bon.