Aller au contenu

Page:Laberge - Quand chantait la cigale, 1936.djvu/97

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
93
QUAND CHANTAIT LA CIGALE

Ah, ce qu’il s’ennuie ! Ah, ce qu’il est malheureux ! Il attend la mort et il a une peur angoissante de mourir. Il a été malade et il a cru que ç’en était fait de lui. S’il était parti, ce serait l’effroi plutôt que la maladie qui l’aurait emporté. Chaque fois qu’il a une légère indisposition, il se croit fini et le désespoir s’empare de lui. Lorsque l’un des anciens s’en va, lorsqu’il assiste à des funérailles, il se dit que ce sera peut-être son tour la prochaine fois. Il vit dans une terreur et dans un ennui perpétuels. Parfois, il vient voir travailler le cordonnier. Il s’installe près de lui, dans son échoppe et, silencieusement, pendant des heures, il le regarde tailler le cuir, rapiécer de vieilles bottines, prendre dans une boîte de ferblanc des pincées de broquettes, se les jeter dans la bouche aux dents jaunies, les reprendre ensuite une à une, recouvertes de salive, entre les lèvres violacées et, d’un sec coup de marteau, les planter symétriquement dans le talon neuf qu’il pose à un soulier éculé. Sans se lasser, ses yeux usés, sans expression, aux bords rougis, observant les menus gestes de l’artisan. Le spectacle absorbe son intérêt, concentre son attention. Plus probablement, il l’empêche de penser.

L’homme a fini de réparer ma chaussure. Je m’en vais.

Et assis sur sa chaise, le menton dans ses mains, l’oncle Cyrille regarde le savetier enfoncer des clous dans une semelle…