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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

lias produisait des fleurs rares, quasi inédites, il était enchanté. Mais le notaire resta perplexe. Certes, il avait toujours écouté les recommandations de son ancien curé et il les avait trouvées sages, mais celui-ci voulait l’obliger à se marier. Ça c’était une autre paire de manches. De quoi allait-il se mêler ce nouveau curé ? Ça m’paraît qu’il veut tout révolutionner en arrivant. Mais il n’y a rien qui presse. Attendons, se dit le notaire à lui-même. Et il attendit. Des semaines s’écoulèrent, puis un soir, le curé repassa.

— Eh bien, monsieur Daigneault, quand venez-vous mettre les bans à l’église ?

— Vous allez un peu vite, monsieur le curé. Je ne connais pas personne et je ne veux pas m’atteler avec quelqu’un qui va ruer, se mater et me donner toutes les misères du monde. Faut penser à ça.

— Vous ne connaissez personne ? Mais prenez l’une des deux femmes qui sont dans votre maison. Vous les connaissez celles-là.

Le notaire resta abasourdi.

— Mais si je me marie avec l’une des deux vieilles filles, songea-t il, c’est alors que les gens pourront jaser, supposer des choses, penser à mal, tandis que maintenant… Mais le notaire se contenta de se dire ces choses à lui-même, gardant ses réflexions pour lui.

C’est qu’il était un catholique convaincu qui allait à la grand’messe chaque dimanche et à confesse trois ou quatre fois par an. Il n’avait pas de principes arrêtés, mais le curé en avait pour lui et les autres et ce qu’il disait faisait loi.

— S’il faut se marier, on se mariera, répondit-il simplement.

Tout de même, l’idée d’épouser l’une de ses bonnes lui