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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

— Allons, lève-toi, sors de ton lit, reprends ta tâche !

Ah ! oui, se lever lorsqu’il fait encore noir, lorsqu’il fait froid, mettre du charbon dans la fournaise, allumer le poêle de cuisine et préparer des déjeuners, c’était loin d’être drôle.

Et cela toute l’année. Travailler sept jours par semaine et avoir pour toilette une vieille jupe, un corsage déchiré sous les bras, brûlé par la sueur, et un tablier carreauté, c’est pas une vie. Et toujours penser au compte de l’épicier, et payer tout l’été, par petites sommes, le charbon que l’on a brûlé pendant l’hiver. Quelle existence pénible et ennuyante ! Ah non ! ses filles ne feraient pas comme elle. Elles marieraient des hommes de profession.

Elle en avait quatre filles : Zéphirine, Clarinda et Adèle, trois belles blondes, grandes, mais étoffées, pleines de santé, et Yvette, brune, petite maigrelette, sans aucun charme.

L’aînée, Zéphirine, avait vingt ans.

La mère aurait voulu marier ses filles avec des hommes de profession, leur faire une vie large, facile, une existence qui leur eût fait oublier la triste pension de leur mère. Mais on ne met pas sur la porte une enseigne : Filles à marier avec des hommes de profession, comme on cloue un écriteau : Chambres et pension.

Et les hommes de profession n’accouraient pas pour épouser les filles de Mme Thomasson.

Puis, Zéphirine n’était pas d’humeur à attendre un avocat ou un architecte. Et imprudemment, elle se fit faire un petit par le conducteur de tramways qui occupait la chambre de droite, en avant, au deuxième, à moins que ce ne fût par le peintre en bâtiments logé au troisième. Le résultat fut le même. Ce fut un rude coup pour la mère.