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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

invitation truquée, signée du nom d’un ancien ami, qu’il se fît envoyer. Il partit alors, mais sans allégresse aucune, avec toutes sortes d’appréhensions et avec la crainte que sa femme ne devinât le motif de cette excursion. Toutefois, lorsque le wagon eut démarré, se mit à rouler, il se dit qu’à trois heures de là, il serait avec son amie, qu’ils passeraient la nuit ensemble. Ce sentimental laissa alors libre cours à son imagination et il eut bientôt l’illusion que le train l’emportait vers des joies précieuses et inédites.

À Chamberry, il n’y avait qu’une rue. D’après une photographie qu’elle lui avait montrée, il reconnut la maison à côté de laquelle se dressait une haute épinette au feuillage épais, d’un vert sombre. Lorsque le taxi stoppa, Louise apparut à la porte pour recevoir son ami.

— Je t’attendais justement ce matin, dit-elle. Lorsque la maîtresse de poste m’a dit que je n’avais pas de lettre hier soir, je me suis dit ; il viendra sûrement demain.

Tout de suite, elle voulut lui montrer son chez elle. Sa chambre d’abord, à l’étage supérieur, avec le grand lit. Sur une chaise, dans un coin, elle plaça la sacoche qu’il avait apportée. Le soleil entrait à pleine fenêtre dans la pièce.

— Je me suis lavé les cheveux hier, dit Louise, montrant sa tête blonde.

Elle était devant lui, légèrement inclinée. Mais, mêlés aux cheveux dorés, il voyait d’innombrables fils blancs et, dans l’éclatante lumière, la figure lui paraissait lourde, épaissie, marquée de lignes profondes en demi-cercle, de chaque côté de la bouche et du menton marqué de deux anciennes cicatrices d’un blanc mat. Lorsqu’elle parlait, son front se barrait de plis et était légèrement bosselé.