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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

pour payer un pareil montant s’ils ont des doutes, répliquait un autre.

La rumeur devenait si forte que le procureur général de la province ordonna de faire une enquête et de faire pratiquer l’autopsie.

Il y avait seize jours que le cercueil avait été déposé dans le charnier lorsque le sacristain accompagné du coroner ouvrit la porte de la maison funéraire pour sortir le corps. Un terrifiant spectacle s’offrit à leurs regards. Sur le seuil, au milieu des éclats de sa bière démolie, les habits en désordre, les cheveux hérissés, la bouche ouverte, grande ouverte comme si elle lançait une imprécation ou un blasphème, Florian Desmoy gisait sur le plancher en ciment. Sa figure et ses mains déchirées étaient maculées d’un sang coagulé, noirâtre. Couvert d’une barbe noire, rude et drue, d’un quart de pouce de longueur, le visage avait, dans la mort, une hallucinante expression de folie ou de désespoir. Le sacristain et le coroner restaient figés d’horreur. Toutes les planches du cercueil étaient fendues, cassées, comme s’il s’était livré là une lutte furieuse. Muets et comme en proie à un cauchemar, les deux hommes comprirent confusément ce qui avait dû se passer. Desmoy avait été enfermé là vivant. Des heures plus tard, peut-être l’après-midi après les funérailles, peut-être le soir ou pendant la nuit de Noël, il était sorti de sa léthargie. Le mort s’était réveillé. Il s’était trouvé étroitement enserré dans une caisse, ressentant un froid terrible. Il avait voulu se lever, se libérer. Soudain, il avait compris où il se trouvait, il avait réalisé qu’il était emprisonné dans un cercueil. D’un coup de coude, il avait brisé la vitre au-dessus de sa figure et les éclats de verre lui avaient fendu le nez et la joue. Avec ses poings, ses genoux, il avait