Page:Labiche - Le Voyage de monsieur Perrichon, Gage, 1905.djvu/88

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Daniel. — Et pourtant vous lui avez sauvé la vie. Vous croyez peut-être que ce souvenir lui rappelle un grand acte de dévouement ? Non ! il lui rappelle trois choses : Primo, qu’il ne sait pas monter à cheval ; secundo, qu’il a eu tort de mettre des éperons, malgré l’avis de sa femme ; tertio, qu’il a fait en public une culbute ridicule…

Armand. — Soit, mais…

Daniel. — Et, comme il fallait un bouquet à ce beau feu d’artifice, vous lui avez démontré, comme deux et deux font quatre, que vous ne faisiez aucun cas de son courage, en empêchant un duel… qui n’aurait pas eu lieu.

Armand. — Comment ?

Daniel. — J’avais pris mes mesures… Je rends aussi quelquefois des services…

Armand. — Ah ! vous voyez bien !

Daniel. — Oui, mais, moi, je me cache… je me masque ! Quand je pénètre dans la misère de mon semblable, c’est avec des chaussons et sans lumière… comme dans une poudrière ! D’où je conclus…

Armand. — Qu’il ne faut obliger personne ?

Daniel. — Oh non ! mais il faut opérer nuitamment et choisir sa victime ! D’où je conclus que le dit Perrichon vous déteste : votre présence l’humilie, il est votre obligé, votre inférieur ! vous l’écrasez, cet homme !

Armand. — Mais c’est de l’ingratitude !…

Daniel. — L’ingratitude est une variété de l’orgueil… « C’est l’indépendance du cœur », a dit un aimable philosophe. Or, M. Perrichon est le carrossier le plus indépendant de la carrosserie française ! J’ai flairé cela tout de suite… Aussi ai-je suivi une marche tout à fait opposée à la vôtre.