Page:Labiche - Le Voyage de monsieur Perrichon, Gage, 1905.djvu/89

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Armand. — Laquelle ?

Daniel. — Je me suis laissé glisser… exprès ! dans une petite crevasse… pas méchante.

Armand. — Exprès ?

Daniel. — Vous ne comprenez pas ? Donner à un carrossier l’occasion de sauver son semblable, sans danger pour lui, c’est un coup de maître ! Aussi, depuis ce jour, je suis sa joie, son triomphe, son fait d’armes ! Dès que je parais, sa figure s’épanouit, son estomac se gonfle, il lui pousse des plumes de paon dans sa redingote… Je le tiens ! comme la vanité tient l’homme… Quand il se refroidit, je le ranime, je le souffle… je l’imprime dans le journal… à trois francs la ligne !

Armand. — Ah bah ! c’est vous ?

Daniel. — Parbleu ! Demain, je le fais peindre à l’huile… en tête à tête avec le mont Blanc ! J’ai demandé un tout petit mont Blanc et un immense Perrichon ! Enfin, mon ami, retenez bien ceci… et surtout gardez-moi le secret : les hommes ne s’attachent point à nous en raison des services que nous leur rendons, mais en raison de ceux qu’ils nous rendent !

Armand. — Les hommes… c’est possible… mais les femmes ?

Daniel. — Eh bien, les femmes…

Armand. — Elles comprennent la reconnaissance, elles savent garder au fond du cœur le souvenir du bienfait.

Daniel. — Dieu ! la jolie phrase !

Armand. — Heureusement, madame Perrichon ne partage pas les sentiments de son mari.

Daniel. — La maman est peut-être pour vous… mais j’ai pour moi l’orgueil du papa… Du haut du Montanvert ma crevasse me protège !