Page:Laboulaye & Guiffrey - La propriété littéraire au XVIIIe siècle, 1859.djvu/648

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cret qui en fut la suite. Lakanal commence par établir avec une énergie remarquable qu’il n’y a pas de propriété plus sacrée que celle de l’auteur sur les produits de son intelligence ; il s’étonne qu’il soit besoin d’écrire cette vérité dans une loi ; il s’indigne contre les brigandages et les pirateries de ceux qui enlèvent au penseur le fruit de ses veilles et de son labeur. Ce n’est pas assez pour lui de reconnaître que ce sont là les principes les plus élémentaires de la justice la plus commune ; il ajoute que l’impression ne saurait jamais faire des productions de l’auteur une propriété publique. Arrivé là, le rapporteur tourne court dans ses conclusions ; au lieu de suivre les conséquences d’un principe si nettement établi, il propose à la Convention un décret qui limite la propriété littéraire à dix ans après la mort de l’auteur. Après avoir si bien commencé, c’était mal finir, et on aurait pu demander un peu moins d’éloquence et un peu plus de logique.

Il ne faut point, du reste, se laisser prendre à ce langage emphatique, à ces hommages pompeux rendus à la propriété littéraire. Si, au début, on proclame le principe, quelques lignes plus loin on l’entame et on lui fait une nouvelle brèche. Les arrêts de 1777 avaient consacré, au moins pour la forme, la perpétuité dans la ligne directe de l’auteur ; le rapport où l’on gémit sur le sort des petites-filles de Corneille, mortes dans l’indigence, dépossède du même coup les familles des auteurs en réduisant leurs droits à dix ans sans plus. Pour consolation, du moins, la propriété littéraire gagnait la partie à l’égard des contrefacteurs, contre les envahissements desquels elle se trouvait protégée à l’avenir dans la limite restreinte qu’on voulait bien lui assurer.

La Convention prononça ainsi le dernier mot du XVIIIe siècle sur la propriété littéraire, et ce dernier mot fut encore une injustice. Toutefois, si dans cette longue période il a été fait beaucoup de mal au principe que nous défendons, si on l’y voit graduellement ébranlé et anéanti, il reste de tous ces débats des documents précieux qui prouvent que la propriété littéraire n’est pas chose nouvelle, et que pour la repousser, il faut rompre avec la tradition et répudier les données de la justice et de la raison. C’est la leçon que nous offre le XVIIIe siècle ; espérons que cette leçon ne sera pas perdue.

G. G.