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L’arrêt du Conseil de 1777, qui fit loi jusqu’à la Révolution, ne laisse aucun doute sur ce point :

Sa Majesté, dit le préambule de l’arrêt, a reconnu que le privilège en librairie est une grâce fondée en justice, et qui a pour objet, si elle est accordée à l’auteur, de récompenser son travail ; si elle est accordée au libraire, de lui assurer le remboursement de ses avances et l’indemnité de ses frais ; que cette différence dans les motifs qui déterminent le privilège en doit produire une dans sa durée ; que l’auteur a sans doute un droit plus assuré à une grâce plus étendue, tandis que le libraire ne peut se plaindre, si la faveur qu’il obtient est proportionnée au montant de ses avances et à l’importance de son entreprise ; que la perfection de l’ouvrage exige cependant qu’on en laisse jouir le libraire pendant la vie de l’auteur avec lequel il a traité, mais qu’accorder un plus long terme ce serait convertir une jouissance de grâce en une propriété de droit, et perpétuer une faveur contre la teneur même du titre qui en fixe la durée ; ce serait consacrer le monopole, en rendant un libraire le seul arbitre, à toujours, du prix des livres…

À la Révolution, cette forme protectrice porta malheur aux écrivains ; le privilège royal disparu, la propriété littéraire n’eut plus de défense que dans la loi commune, et rigoureusement on pouvait soutenir que la loi commune ne la connaissait pas[1]. De bonne heure. on sentit la nécessité de protéger les auteurs ; une révolution, amenée par le triomphe de la pensée, ne pouvait rester indifférente au sort des écrivains, et voici comment, àa l’Assemblée constituante, s’exprimait Chapelier, rapporteur de la loi du 19 janvier 1791, concernant les théâtres.

La plus sacrée, la plus inattaquable, et, si je puis parler ainsi, la plus personnelle de toutes les propriétés, est l’ouvrage, fruit de la pensée d’un écrivain ; cependant c’est une propriété d’un genre tout différent des autres propriétés. Quand un auteur a livré son ouvrage au public,

  1. Voir toutefois Breulier : Du droit de perpétuité de la propriété intellectuelle, Paris, 1855, p. 39.