Aller au contenu

Page:Laboulaye - Études sur la propriété littéraire en France et en Angleterre.djvu/22

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

quand cet ouvrage est entre les mains de tout le monde, que tous les hommes instruits le connaissent, qu’ils se sont emparés des beautés qu’il contient, qu’ils en ont confié à leur mémoire les traits les plus heureux, il semble que, dès ce moment, l’écrivain ait associé le public à sa propriété, ou plutôt la lui ait transmise tout entière. Cependant, comme il est extrêmement juste que les hommes qui cultivent le domaine de la pensée tirent quelque fruit de leur travail, il faut que pendant leur vie, et quelques années après leur mort, personne ne puisse, sans leur consentement, disposer du produit de leur génie. Mais enfin, après le délai fixé, la propriété du public commence, et tout le monde doit pouvoir imprimer, publier les ouvrages qui ont contribué à éclairer l’esprit humain. Voilà ce qui s’opère en Angleterre pour les auteurs et le public, par des actes que l’on nomme tutélaires ; ce qui se faisait autrefois en France par des priviléges que le roi accordait, et ce qui sera dorénavant fixé par une loi, moyen beaucoup plus sage, et le seul qu’il convienne d’employer.

On voit que rien n’est changé dans les idées, ni dans la législation ; le mot de propriété, il est vrai, a remplacé celui de privilège, mais cette propriété n’est toujours qu’une concession bénévole faite par la société.

La Convention rendit, le 10 juillet 1793, un décret célèbre qui est resté longtemps la loi de la propriété littéraire, mais, malgré les déclamations du temps, on ne voit point qu’on ait changé d’opinion sur le caractère de la propriété littéraire.

Dans le rapport qui précède le décret, Lakanal proclame le principe que, « de toutes les propriétés, la moins susceptible de contestation, c’est, sans contredit, celle des productions du génie ; et si quelque chose peut étonner, ajoute-t-il, c’est qu’il ait fallu reconnaitre cette propriété, assurer son libre exercice par une loi positive ; c’est qu’une aussi grande révolution que la notre ait été nécessaire pour nous ramener sur ce point, comme sur tant d’autres, aux simples éléments de la justice la plus commune. »