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Page:Laboulaye - Études sur la propriété littéraire en France et en Angleterre.djvu/52

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pour le livre comme pour tout autre objet. Voici un exemplaire de Voltaire ; lisez-le, donnez-le, brûlez-le, faites-en du carton et de la pâte, rien de mieux. Mais est-ce cet exemplaire que vous transformez par la contrefaçon ? Est-ce la chose que vous avez payée que vous allez diviser et partager entre de nouveaux acquéreurs ? Pas du tout. Vous assemblez des caractères, vous les encrez, vous les imprimez et vous produisez une œuvre nouvelle. Ce n’est pas une transformation de votre exemplaire, il existe tout entier. Qu’est-ce donc ? C’est une industrie particulière au moyen de laquelle vous vous appropriez le travail d’autrui. Où donc est cette prétendue analogie qu’on veut établir entre l’usage des fruits de la terre et la contrefaçon ?

Enfin, est-il vrai que la contrefaçon n’empiète pas sur ma propriété parce que je suis toujours libre d’imprimer de mon côté ? C’est une question qu’on peut examiner dans l’école, mais qui ferait sourire un éditeur. Les exemplaires que j’ai en magasin et dont vous avilissez ou vous détruisez le prix, n’est-ce pas une propriété que vous anéantissez ? Quand vous m’empêchez de faire une édition nouvelle, ne me causez-vous pas le même préjudice que si vous m’empêchiez de semer ou de moissonner mon champ ? Quand donc comprendra-t-on que valeur et propriété sont des termes synonymes, et que détruire une valeur dans mes mains, c’est détruire ma propriété. Ce peut être un acte légitime ou coupable, ce ne peut pas être un acte indifférent.

J’ai essayé de serrer la question d’assez près pour démontrer juridiquement que la langue française, toujours si précise, a raison d’appeler le droit des auteurs : propriété littéraire ; c’est en effet un droit qui a le même principe que la propriété ; s’il en diffère par la façon d’en user et par la garantie dont il a besoin, ce n’en est pas moins un droit ab-