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M. de Vergennes l’avait prévu, et vous me permettrez de vous citer ses paroles prophétiques ; car cette gloire politique nous appartient. Tout en acceptant la guerre avec les Anglais pour affranchir l’Amérique, M. de Vergennes ne se faisait pas illusion sur l’avenir de la nation que nous allions émanciper.

Bien loin de nous réjouir des événements, disait-il à lord Stormont, l’ambassadeur anglais, nous les voyons avec quelque peine. Ce qui vous arrive en Amérique n’est de la convenance de personne. Je vois les suites de cette indépendance à laquelle aspirent vos colonies ; elles voudront avoir des flottes, et comme rien ne leur manque en fait de ressources, elles pourront tenir tête à toutes les marines de l’Europe ; elles seront en état de conquérir nos îles. Je suis même convaincu qu’elles n’en resteront pas là, qu’avec le temps elles avanceront vers le sud, qu’elles en soumettront ou en chasseront les habitants, qu’enfin elles ne laisseront pas les puissances européennes occuper un pouce de terre en Amérique. Sans doute, ce n’est pas demain que se manifesteront ces conséquences ; ni vous, mylord, ni moi ne les verrons ; mais, pour être éloignées, elles n’en sont pas moins certaines. Une politique à courte vue peut se réjouir des maux d’une nation rivale, sans songer au delà de l’heure présente ; mais, pour qui voit plus loin et pèse l’avenir, ce qui se passe en Amérique est un événement fâcheux dont a sa part toute nation qui a des possessions dans le nouveau monde ; et c’est ainsi, je vous l’assure, que j’ai toujours considéré les choses[1].

  1. Raumer ; Die Vereinigten Staaten von N.-Amerika. Leipsig, 1845, t. I, p. 96.