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crainte, et non par l’amour du beau[1]. » Nul doute que l’arsenal païen ne fût déjà amplement muni d’arguments batailleurs. Au surplus, saint Justin lui-même va nous montrer dans quelles conditions ils étaient parfois mis en action.

Justin faisait à Rome figure de chef d’école. Il avait autour de lui un certain nombre de disciples — dont plusieurs devaient être les compagnons de son martyre. Dans sa seconde Apologie[2], il raconte ses démêlés avec le philosophe « cynique » Crescens, qu’il traite fort durement. Crescens, à en croire Justin, prêtait l’autorité de sa profession aux pires préjugés populaires. Sans avoir rien approfondi de la doctrine qu’il attaquait, il s’en allait répétant que les chrétiens n’étaient que des « athées » et des « impies ». Justin avait pu engager avec lui certains débats contradictoires : il avait gardé l’impression d’un infatué, qui ne s’était même pas mis en peine d’étudier la foi qu’il essayait de rétorquer. Avait-il seulement lu l’Évangile ? Justin n’exclut pas absolument cette hypothèse, mais il estime, qu’ou bien Crescens n’a rien compris à la beauté morale des « enseignements du Christ », ou que, s’il l’a entrevue, c’est par lâcheté qu’il continue à se mettre à l’unisson de la foule ignorante. Un caractère de cette trempe ne mérite pas le nom de « philosophe » : Justin y substitue, par une sorte de calembour, celui de « philopsophe » (φιλόψοφος, ami du bruit).

Nul doute que ces colloques entre Crescens et Justin n’aient eu lieu en public, et avec un certain apparat. Ils avaient dû être recueillis par des sténographes, car Justin

  1. Apol. II, ix, 1 : « διὰ φόβον, ἀλλ’ οὐ διὰ τὸ καλόν. ».
  2. II Apol., iii et xi.