Page:Labriolle - La Réaction païenne, 1934.djvu/64

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admet que le pouvoir impérial a pu en prendre connaissance. Il s’avoue tout disposé, au surplus, à affronter de nouveau son ennemi devant l’empereur lui-même, tant il est sûr de le dominer.

Tatien, si différent de Justin par l’âpreté de son caractère et la violence de ses partis pris, avait été son élève. Dans son Discours aux Grecs, il fait à Crescens une allusion dépourvue d’indulgence, qui offre une ou deux données intéressantes. On y voit que Crescens recevait (à titre de professeur ?) une pension de l’empereur ; on y voit aussi qu’il s’était employé à triompher de Justin par certaines intrigues assez perfides, où la dialectique ne jouait plus aucun rôle. Voici ce passage[1] :

… Vos philosophes sont si loin de se soumettre à cette discipline [d’abstinence] qu’il en est qui reçoivent de l’empereur six cents pièces d’or par an, sans utilité, pour ne pas même laisser pousser leur barbe gratuitement. Crescens, par exemple, qui avait fait son nid dans la grande ville, surpassait tous les autres par sa pédérastie et était très adonné à l’avarice. Lui donc, qui conseillait le mépris de la mort, il craignait tellement la mort lui-même qu’il fit son possible pour nous y précipiter, Justin et moi, comme si elle était un mal, parce que Justin qui prêchait la vérité savait convaincre les philosophes de mauvaise foi et de tromperie.

Saint Justin, au moment où il écrivait sa « seconde » Apologie sentait déjà poindre une grave menace pour sa vie, du côté de Crescens[2]. Celui-ci prit-il réellement sur Justin cette revanche abominable ? Les Actes du martyre de Justin ne font pas mention de lui. Le procès-verbal de l’interrogatoire est d’une authenticité non douteuse, mais le préambule et la phrase finale qui l’encadrent ont été

  1. Discours aux Grecs, § 19 (trad. Puech, p. 132).
  2. II, iii, 1.