Page:Lacenaire, éd. Cochinat, 1857.djvu/345

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sous-chef de la police de sûreté. Le fonctionnaire s’approcha de lui.

— Voulez-vous me permettre de vous embrasser, monsieur Canler ? lui dit-il à voix basse.

— Ma foi… non, répondit doucement et avec quelque hésitation celui-ci. Hier soir, oui ; c’eût été avec plaisir, mais aujourd’hui, devant tout ce monde… franchement, je ne m’en soucie pas.

— Qui sait, disait plus tard M. Canler à ce sujet, qui sait si Lacenaire, que j’avais fait prendre, n’aurait pas profité de ce baiser pour m’enlever quelque morceau de nez ou de visage ?…

Avant de se placer sur la planche fatale, Avril cria à son ami :

— Adieu, mon vieux Lacenaire ! adieu, courage… j’ouvre la marche…

Et il répétait encore cet adieu, lorsque le couteau coupa sa phrase.

Le bourreau de Beauvais était venu en aide à son collègue de Paris. Pour empêcher Lacenaire de voir le supplice d’Avril, cet exécuteur voulut lui faire tourner le dos à la sanglante machine. Avec cette politesse cérémonieuse qui ne le quitta jamais, Lacenaire lui dit :

— Monsieur le bourreau, seriez-vous assez bon pour me laisser voir Avril ?…

Il vit effectivement tomber cette tête ; mais Dieu le punit de cette bravade en prolongeant son agonie.

Il arriva, en effet, pour cette exécution, ce qui s’était rarement vu. La guillotine était très vieille : aucun ouvrier de Paris ne voulait la réparer, et le bourreau et ses