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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

tes de mineur, et chacune tenant à la main une lanterne allumée, se disposaient à descendre dans la mine.

Les hommes, coiffés, eux aussi, de casquettes, portant, eux aussi des lanternes, riaient et badinaient ensemble, essayant ainsi de chasser la pâleur qui recouvrait les traits des deux femmes. Car celles-ci étaient très émues et quelque peu effrayées, à la pensée de s’enfoncer sous la croûte terrestre. La Ville Noire… c’était, pour elles, le domaine du mystère, et quoiqu’elles n’eussent pas renoncé à l’excursion pour tout au monde, leur cœur palpitait plus fort, au moment de partir.

— Partons-nous ? demanda soudain Yvon.

— Oui ! Oui ! Partons !

— Nous gommes prêts, M. l’Inspecteur, dit Mme Foulon.

— Suivez-moi alors, Mesdames et Messieurs.

Bientôt, tous s’installaient sur un char et aussitôt, on se mit à descendre dans les noires profondeurs de la houillère. Ces chars sont faits en forme d’escaliers — sans rampes — . On s’assied sur l’une des marches, tout simplement et alors commence une descente assez rapide, qui semble ne devoir jamais finir.

— Ciel ! Qu’il fait noir ! s’écria une voix de femme.

Mais cette exclamation personne ne l’entendit ; le vacarme continuel que produisent les chars, montant à la surface du sol et descendant dans la mine, couvre tout autre bruit, et puis, plus on s’enfonce sous la terre, moins la voix a de portée ; de fait, on s’entend à peine parler soi-même.

Yvon Ducastel avait pris place à l’arrière du char. En avant, sur le premier degré, étaient Lionel Jacques et Patrice Broussailles. Sur le deuxième degré étaient M. et Mme Foulon ; sur le troisième, Richard d’Azur et sa fille.

Pour cette excursion, Luella avait, enlevé ses verres bleus. Dans l’espace d’un éclair donc, Yvon avait pu voir, pour la première fois, les yeux de la jeune fille, et il comprit tout de suite pourquoi elle les cachait sous des verres presque noirs… Ou bien Mlle d’Azur avait les yeux très faibles… ou bien ils déparaient tout à fait son visage, par leur expression… ou leur manque d’expression ; de plus ils étaient petits et enfoncés dans leurs orbites. Dans tous les cas, notre héros ressentit une impression étrange en regardant les yeux de Luella d’Azur… et puis… il lui sembla percevoir des voix, assourdies par la densité de l’atmosphère de la mine, murmurant à son oreille : « Défie-toi » !

Mais le char continuait sa descente. D’autres chars remontaient à la surface du sol ; on les voyait venir de loin, à cause des fanaux allumés que portaient les mineurs. Les chars se croisaient donc, en route ; mais pas un mot, pas un signe ne s’échangeaient entre ceux qui descendaient et ceux qui remontaient… C’est que la houillère est un lieu plutôt sinistre on n’y descend que contraint par la nécessité, généralement car, quoique les catastrophes, les désastres y soient assez rares, il en arrive d’épouvantables parfois et chacun sait qu’il risque sa vie chaque fois qu’il s’enfonce dans la mine.

Enfin, le char contenant nos amis s’arrêta.

— Nous sommes arrivés, dit Yvon, qui, le premier, mit pied à terre.

— Arrivés ?… demanda Luella.

— Nous sommes parvenus à destination, Mlle d’Azur, répondit Yvon en souriant. Suivez-moi, ajouta-t-il, en s’adressant à tous.

On pénétra dans un couloir étroit, mais long d’une trentaine de pieds à peu près, où des hommes étaient à ajuster et clouer ensemble de gros madriers.

— Que font ces hommes ? demanda quelqu’un.

— De la charpenterie… Ce sont ces travaux que je dois venir inspecter presque chaque jour, répondit notre jeune ami. Tenez, ajouta-t-il, en élevant sa lanterne jusqu’à la hauteur des voûtes du couloir, examinez cette charpente…

— Dans quel but ces travaux ? demanda Lionel Jacques.

— Il se fait de la charpenterie continuellement, dans la mine, M. Jacques, car les voûtes doivent être supportées ; sans quoi elles s’effondreraient et bien des mineurs se trouveraient emprisonnés pour toujours.

Malgré eux, tous frissonnèrent.