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Page:Lacerte - L'homme de la maison grise, 1933.djvu/152

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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

voyait de loin, remettre, à qui tendait la main pour le recevoir, un programme de la représentation qui allait bientôt commencer. Sans doute, il faisait des farces et il était très comique, lançant de bons mots, à droite et à gauche… ou bien, son apparence personnelle prêtait à rire, car tous l’accueillaient en riant, ou avec certaines exclamations que Luella ne pouvait saisir, de l’endroit où elle était placée.

Le distributeur de programmes n’avançait que lentement ; mais il approchait sûrement…

Machinalement, Luella se mit à l’observer… Tout à coup, elle saisit le bras de son père, et tandis que ses lèvres pâlissaient à vue d’œil elle murmura :

— Sortons d’ici ! Sortons vite !

— Qu’y a-t-il — demanda Richard d’Azur.

— Fuyons ! Fuyons ! dit la jeune fille.

D’un bond, tous deux furent debout et aussitôt, ils s’acheminèrent vers la sortie. Luella, suspendue de toutes ses forces au bras de son père, tremblait comme une feuille au vent.

Ils eurent vite quitté le terrain. Heureusement, une voiture passait, allège ; ils y prirent place en donnant l’adresse de leur maison de pension.

Richard d’Azur essaya de questionner sa fille, mais elle répondit :

— Tout à l’heure… lorsque nous serons en sûreté dans ma chambre…

Ce ne fut, en effet, que quand ils furent de retour chez Mme Francœur et tandis que Salomé baignait de cognac le front de Luella, que celle-ci se décida de donner l’explication de ce qui venait d’arriver.

— Me diras-tu maintenant, Luella, ce qui t’a tant effrayée — demanda Richard d’Azur.

— Celui qui distribuait les programmes dans la tente du cirque…

— Eh ! bien ?

— Vous ne l’avez donc pas reconnu, père ?

Reconnu ? Je ne l’ai seulement pas remarqué.

— Miséricorde ! Je l’ai reconnu tout de suite, moi ! s’écria la jeune fille, en donnant toutes les marques d’une grande frayeur… C’était…

— Qui donc, ma fille ?

— C’était… C’était Jacobin !


Chapitre VIII

MADEMOISELLE D’AZUR FAIT UNE SCÈNE


En entendant prononcer ce nom qu’ils avaient bien cru ne plus jamais entendre, Richard d’Azur et Luella se regardèrent en pâlissant.

— Jacobin ! s’exclama Richard d’Azur. Es-tu sûre que c’était lui, Luella ?

— Si j’en suis bien sûre ! Ah ! Je voudrais bien pouvoir croire, même pour un instant, que je me suis trompée !

M. Jacobin !… murmurait Salomé.

— Oui, c’était bien lui !… répéta la jeune fille. Heureusement, ajouta-t-elle, je l’ai reconnu à temps !

— Il ne nous a pas vus, lui, tu crois ?

— Oh ! non ! Il n’était qu’à la moitié de la tente, lorsque je l’ai aperçu et reconnu ; nous, nous étions tout près de la sortie et nous avons pu nous esquisser sans attirer son attention.

— Que vient-il faire ici, à W… ? demanda Salomé : pouvez-vous vous l’imaginer, Mlle Luella ?

— Mais… Il suit le cirque, c’est évident… comme employé… ou bien, comme… comme… objet de curiosité.

— Non ! Non ! Pas cela, Luella ! cria presque Richard d’Azur, dont les traits pâlirent davantage.

— Cependant, père, vous savez bien que…

— Tais-toi ! Oh ! Tais-toi, ma fille !

— N’en parlons plus alors, dit-elle. Mais le fait est là : Jacobin est à W… et sa présence ici constitue un grand danger pour nous… pour moi surtout… Et mon mariage qui doit avoir lieu dans moins de quinze jours maintenant ! ajouta-t-elle, éclatant en sanglots.

— Ne te désole pas ainsi ma chérie ! fit Richard d’Azur. Bien avant la date fixée pour ton mariage, ce cirque aura levé le pied… De fait, il devrait partir dès demain matin, par le premier train probablement.