Page:Lacerte - L'ombre du beffroi, 1925.djvu/66

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
64
L’OMBRE DU BEFFROI

— Ce doit être d’horribles choses, dit Gaétan, en souriant ; vous faites bien d’y voir !

Gaétan ne fut pas longtemps seul ; Iris Claudier se glissa jusqu’à lui, (Iris se glissait ou se faufilait, généralement, ainsi qu’une vipère ; on a dû le constater déjà) ?

— Eh ! bien, M. de Bienencour, fit-elle, levant les yeux au plafond et les fermant ensuite, nous avons vite découvert, n’est-ce pas, l’homme qui boite, du pied gauche ? Et elle se mit à rire.

Gaétan ne répondit pas.

— Pauvre M. Le Briel ! reprit Iris. Il a eu beaucoup de malchance, vraiment ; mais cela le rend si intéressant cette claudication ! Ha ha ha !… Avez-vous remarqué la forme particulière de ses chaussures, M. de Bienencour ?… Pointues du bout, longues et étroites…

— Je vous félicite, Mlle  Claudier, répondit Gaétan, d’un ton moqueur. Vous feriez un fameux policier ; même, vous utiliseriez, je crois, votre… talent, pour envoyer vos meilleurs amis à la potence… si ça faisait votre affaire, s’entend.

— Oh ! M. Le Briel n’est pas un de mes amis particuliers, M. de Bienencour ; il est plutôt celui de Mlle  Fauvet, je crois… Elle parait avoir, en ce moment, des choses sérieuses et… touchantes à lui dire… Sans doute, elle lui exprime ses sympathies, à M. Le Briel… Ce pauvre lui !

Ayant dit ce qu’elle avait à dire, Iris Claudier éclata d’un rire méchant, après quoi elle se glissa hors du salon.

Gaétan, malheureux au-delà de tout ce qu’on pourrait imaginer, les yeux fixés sur Marcelle qui causait tout bas avec Raymond, à l’une des extrémités du salon, se demandait comment il allait pouvoir attendre le départ des invités pour demander à sa fiancée une explication. Qu’avait-elle à raconter de si intéressant et de si… secret à Le Briel, et pourquoi aussi le traite-t-elle avec tant de froideur, lui, Gaétan ?… Fallait-il croire aux insinuations d’Iris Claudier, et…

Si Gaétan avait pu entendre les propos qui s’échangeaient entre Marcelle et Raymond, il eut été rassuré, sans doute… Mais, voilà ; il ne pouvait pas les entendre ; il voyait seulement le visage attristé de sa fiancée levé vers celui qu’il considérait son rival.

— M. Le Briel, disait Marcelle, j’espère que vous n’en voudrez pas à M. de Bienencour, pour la manière dont il vous a parlé, cet avant-midi ?… Je ne comprends pas, je l’avoue…

— Mon Dieu, non, je ne lui en veux pas, Mlle  Fauvet, répondit Raymond.

— J’en suis sûre, M. Le Briel, M. de Bienencour regrette déjà ce qui s’est passé.

— Je le crois sans peine, fit, en souriant, le jeune homme. Il le regrette, non pas parce qu’il m’a provoqué, en quelque sorte ; mais parce que vous l’avez traité avec froideur, depuis… Mais, passons ! J’ai tout oublié Mlle  Fauvet ; que cela ne vous inquiète plus !

— Merci, M. Le Briel, merci ! dit Marcelle. Vous êtes noble et bon !

Elle tendit sa main à Raymond, qui, la saisissant entre les siennes y déposa un baiser.

Et Gaétan, voyant cela, se dit qu’il était l’être le plus à plaindre de la terre. Mais, trouvant, un peu plus tard, l’occasion d’échanger quelques mots avec la jeune fille, il lui demanda ;

— Marcelle, vous m’en voulez pour quelque chose, n’est-ce pas ?

— Mais non ! Je ne vous en veux pas, Gaétan !… Personne ne vous en veut d’ailleurs… M. Le Briel…

— Quelle affaire M. Le Briel a-t-il de boiter aussi ! fit Gaétan, d’un ton mécontent.

Marcelle ouvrit grands les yeux, tout d’abord, puis elle se mit à rire gaiement.

— Mon cher Gaétan ! s’exclama-t-elle. Ne devrions-nous pas plaindre ce pauvre M. Le Briel, plutôt que le blâmer ? Il a été victime d’un accident et…

— Marcelle, pourquoi prenez-vous le parti de M. Le Briel contre moi ?

— Parce que c’est lui qui a été l’offensé. Gaétan. Or…

— Vous avez des raisons, je le sais… commença Gaétan.

Mais il se tut. Non, pas maintenant ! Dans quelques jours, il aurait une explication avec sa fiancée.

— Qu’allons-nous faire, toute la veillée ? demanda Wanda, ce soir-là.

— Oh ! J’ai une proposition à faire ! répondit Dolorès : pourquoi ne passons-nous pas une partie de la veillée dans la chapelle ?

— C’est une bonne idée ! s’écria Yolande.

— Une charmante idée ! approuva Olga.

— Une idée plutôt originale, Dolorès, ne trouves-tu pas ? demanda Marcelle. La chapelle… ce n’est pas un endroit bien… gai !

— Ce sera du nouveau, dans tous les cas ! dit Jeannine.

— Oui ! Oui ! allons à la chapelle !

— Marcelle jouera de l’orgue.

— Dolorès chantera un Ave Maria, puis nous chanterons en chœur. À la chapelle ! À la chapelle !

— Si M. Fauvet le permet, s’entend, dit Dolorès.

Pour toute réponse, Henri Fauvet sonna V. P. et lui donna l’ordre d’allumer tous les candélabres de la chapelle.

— Fais une grande illumination, V. P. ; nous y passerons la veillée.

Aussitôt que vint l’obscurité, tous se dirigèrent vers la chapelle, qui avait un air vraiment solennel, toute illuminée comme elle l’était. Marcelle joua de l’orgue, Dolorès chanta, puis celle-ci dit ;

— Marcelle, veux-tu nous réciter quelque chose ? Récite la légende que tu as composée, tout dernièrement, tu sais : celle de cette abbaye.

— Oui ! Oui ! La légende ! La légende !

— Je la réciterai bien, dit simplement Marcelle ; c’est, en effet, la légende de cette abbaye ; elle ne vous en intéressera que plus probablement.

Sans se faire prier, Marcelle s’installa dans la chaire de la chapelle et récita ce qui suit :

L’OMBRE DU BEFFROI
(Légende)

Autrefois, dans ce monastère,
Vivaient trente moines pieux,
Soumis au règlement austère,
Le regard fixé sur les cieux.