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Peupliers ne soit atteint des fièvres… Si vous le voulez bien, nous ferons prendre à nos chevaux un temps de galop. Allons !

— Et qui vous aide à soigner les malades de votre hôpital, Docteur ?

— J’ai, dans le moment, cinq malades, répondit le médecin. Heureusement j’ai une bonne infirmière pour m’aider : Mlle Catherine, la fille du père Noé.

— Cette bonne Mlle Catherine ! s’exclama Roxane. Nous la connaissons bien Rita et moi, car elle est venue, à plusieurs reprises, passer le dimanche aux Barrières-de-Péage… Mais, un temps de galop, Docteur ! Marche, Jupiter, bon cheval, marche !

— Au galop, Diavolo ! commanda le médecin. Marche !

Et c’est au galop que les deux chevaux parcoururent les trois milles qui séparaient encore le Valgai des Peupliers.


CHAPITRE VII

UN DON À L’HÔPITAL PHILIBERT


Le pressentiment du Docteur Philibert ne l’avait pas trompé : Justin, le portier des Peupliers, était atteint des fièvres typhoïdes, et même, c’était un cas sérieux que le sien.

Après avoir examiné son malade, le médecin se fit conduire à la bibliothèque, par Roxane, et il dit à Champvert, qui était à lire :

— M. Champvert, votre portier est bien malade.

— Oui ? dit le notaire d’un air indifférent, qui déplut grandement au Docteur Philibert.

Le médecin se dit qu’il allait, sans retard, stimuler l’intérêt de Champvert, et, malgré la gravité de la situation, il ne put s’empêcher de sourire un peu… par anticipation.

— Oui, M. Champvert, Justin est dangereusement malade… des fièvres typhoïdes.

— Des fièvres typhoïdes ! s’écria Champvert, qui bondit hors de son siège. Des fièvres typhoïdes, dites-vous ?… Mais, nous allons tous prendre cette affreuse maladie !… Comment se fait-il que…

— Justin n’est tombé malade que ce matin ; mais, dans peu de temps, la maladie a fait de terribles progrès.

— Alors, mettez-moi ça dehors ! cria le notaire, et plus vite que ça !

— Monsieur, dit gravement le médecin, vous feriez bien peut-être de parler plus charitablement de ce pauvre homme… Il y a une épidémie de fièvres typhoïdes, dans le moment et… on ne sait jamais, voyez-vous !… Aujourd’hui, c’est le tour de votre portier ; demain, se sera peut-être le vôtre… Donc, un peu de charité, que diable !… Justin, je vais le transporter à mon hôpital immédiatement. Si vous voulez bien me prêter votre fourgon, j’y coucherai le malade, sur un matelas et…

— Comment ! Vous prêter le fourgon ! Pour y transporter un homme malade des fièvres typhoïdes ! Jamais ! L’infection…

— Cependant, mon cher monsieur, je ne puis transporter Justin jusqu’au Valgai, dans mes bras ou sur le dos de mon cheval, n’est-ce pas ?

— Qu’y a-t-il, Docteur Philibert ? demanda soudain la voix d’Yseult ; elle venait d’entrer dans la bibliothèque. ! Le portier est malade des fièvres, parait-il ?

— Oui, Madame, répondit le médecin, en s’inclinant devant la jeune femme. Je veux transporter Justin, sans retard, à mon hôpital ; mais M. Champvert refuse de me prêter son fourgon. Or, je suis venu ici à cheval…

Maintenant, si Champvert avait consenti à prêter le fourgon, il est probable (il est certain même) qu’Yseult s’y serait objecté ; mais comme c’était tout le contraire, elle se hâta de dire, avec son sourire le plus aimable :

— Prenez le fourgon, Docteur, et gardez-le ! Puisque vous avez construit un hôpital, je veux y contribuer pour ma part, en vous donnant le fourgon, un matelas, des oreillers et une couverture ; ce sera votre ambulance.

— Merci, Madame ! dit le médecin en s’inclinant. Puis, souriant, il ajouta : Et l’attelage ?… Ne le mettrez-vous pas par-dessus le marché ?

— Oui ! Oui ! consentit Yseult ; ce sera mon don à l’Hôpital Philibert.

Elle se mit à rire, en jetant un regard malicieux sur son mari. Combien il lui était doux de le contrarier cet homme et de lui rappeler, une fois de plus, qu’elle était maîtresse absolue aux Peupliers ! Yseult jouissait grandement de la situation qui était faite à Champvert, croyez-le ! Mais celui-ci, trouvant sa position intolérante et un tant soit peu ridicule, quitta hâtivement la bibliothèque.

Cette scène semblait amuser beaucoup le Docteur Philibert. Mais Roxane se sentit frissonner, tout à coup : il y avait tant de haine entre les deux époux !… Elle fut étreinte d’un sorte de pressentiment.

Le lendemain matin, Souple-Échine fut installé comme portier aux Peupliers.


CHAPITRE VIII

LA DOUCE GRETCHEN


Le soir même de l’arrivée de Souple-Échine aux Peupliers, Yseult donnait son grand dîner.

Huit propriétaires des ranches voisins avaient été invités, avec leurs femmes, et tous étaient au rendez-vous. La femme de Champvert, vêtue d’une robe garnie de perles et de dentelles noire, à travers laquelle on voyait ses épaules et ses bras d’albâtre, les cheveux relevés artistement et décorés de peignes en jais, les joues discrètement teintées de rose et le sourire aux lèvres, faisait une gracieuse et jolie hôtesse. L’entrain était grand. De sa chambre, Roxane entendait le murmure des voix, venant de la salle à manger, et, de temps en temps, un franc éclat de rire.

Mais, un qui s’ennuyait et s’ennuyait ferme, à ce dîner, c’est Henric Silverstien ! Le pauvre petit juif avait essayé d’engager la conversation avec sa voisine de table, mais ça n’avait pas été un succès. On sait avec quelle difficulté il baragouinait le français, la seule langue qu’il parlât à part sa propre langue : l’allemand. Sa voisine de table avait bien fait son possible pour donner la ré-