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le docteur gilbert.

— Non, ce n’est pas elle, balbutia Anatole.

— Anatole, mon ami, dit Mathilde avec une douceur craintive, est-ce que tu souffres ?

— Si c’était elle, poursuivit Anatole, elle m’aurait reconnu !…

— Anatole ! reprit Mathilde avec une inflexion de voix suppliante,

— Victorine dans la même maison que moi !… continua M. de Ranval en se prenant le front à deux mains ; non, je me suis trompé… c’est une autre femme qui lui ressemble !… Si en effet c’était elle !… Gilbert n’aurait pas manqué de m’en instruire…

— Mon cher Anatole ! dit Mathilde en haussant un peu la voix. Il ne m’entend pas !… Regarde, Mariane, comme son visage est décomposé !…

Mariane ne répondit à sa maîtresse que par un soupir.

Tout à coup M. de Ranval, qui depuis quelques instans gardait le silence, se lève de son fauteuil, tout effaré, et s’écrie en parcourant la chambre à grands pas :

— Cette infernale image me poursuit partout. Je ne pourrai donc pas m’en débarrasser… Ah ! Gilbert ! Gilbert, tu m’as perdu !

— Que dit-il ?… s’écrie à son tour Mathilde en s’élançant dans les bras d’Anatole.

M. de Ranval demeura un moment immobile et sans parole, à regarder fixement Mathilde comme s’il ne la reconnaissait pas.

Mathilde le tenait toujours embrassé et le couvrait de larmes.

— Ah ! c’est toi, Mathilde ! c’est toi, dit Anatole avec tendresse ; ma bonne amie, je te cherchais !

— Pourquoi n’es-tu pas resté au lit, Anatole ? Tu as besoin de repos !… je ne voulais pas te déranger… Je sais que tu as passé une mauvaise nuit…

— Oh ! oui, bien mauvaise, murmura tristement Anatole. J’aurais voulu te presser contre mon cœur… et tu n’étais pas là !

— Pauvre Anatole, dit Mariane en essuyant une larme.

— Aussi tu travailles trop, cher Anatole, reprit Mathilde en écartant les cheveux qui couvraient le front de son mari, tu finiras par tomber malade… Voilà plusieurs nuits de suite que tu veilles ! Ah ! si nous avions encore la même chambre, Anatole, je ne le laisserais pas veiller si tard.

Mariane s’était approchée d’Anatole ; et lui prenant une main affectueusement, elle lui dit :

— En vérité, ce n’est pas raisonnable, monsieur Anatole !… cette nuit, à deux heures, il y avait encore de la lumière dans votre cabinet, et madame vous a entendu marcher continuellement… Mon Dieu ! vous vous donnerez une fièvre cérébrale.

— Pardonne-moi, chère Mathilde, si j’ai troublé ton sommeil, balbutia M. de Ranval d’un air embarrassé, j’avais quelque chose de très important à finir… et je suis obligé de travailler souvent La nuit… tu le sais bien… car, pendant le jour, cette maison est si bruyante…

— Eh bien ! il faut la quitter, mon ami, dit Mathilde ; nous irons nous loger dans un quartier plus paisible : oui, cette maison a trop de locataires ; c’est un bruit continuel de voitures qui entrent et qui sortent.

Et la chambre de ce pauvre monsieur Anatole est justement sur la cour, ajouta Mariane ; depuis hier surtout, c’est un vacarme abominable ; il arrive à chaque instant des voitures pleines de banquettes, de lustres et de candélabres, pour un grand bal masqué que donne aujourd’hui, je crois, cette dame qui demeure ici depuis quelques jours.

— Quelle est cette dame, Mariane ? demanda M. de Ranval avec un tressaillement.

— Je ne la connais pas, monsieur, répondit Mariane d’un air d’indifférence ; le portier m’a dit comment on la nomme, mais je ne m’en souviens pas… C’est, je crois, un nom comme… Il ne me revient pas…