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le docteur gilbert.

enfant, me fera plus de bien que toutes les ordonnances du docteur Gilbert.

— J’y consens, Mathilde, partons ensemble ! s’écrie M. de Ranval avec feu. Dérobons-nous pour quelques jours à cette ville tumultueuse où l’on a tant de peine à trouver le calme et le bonheur !… Maintenant Paris m’est odieux… c’est une mer continuellement agitée, pleine de troubles et de tempêtes ; on n’y peut goûter un seul instant les délices tranquilles de la famille et de l’étude… Tiens, si tu veux, Mathilde, nous irons nous fixer pour toujours à Fontainebleau, auprès de mon père ?… Les plaisirs de Paris sont pour nous des ennuis, des fatigues… il nous faut à nous des voluptés plus douces, moins bruyantes et plus intimes !…

— Anatole, que je suis heureuse de t’entendre parler ainsi !… Être à côté de mon fils… à côté de toi… toujours… et vivre à deux comme autrefois dans le silence et l’oubli des hommes, loin des importuns et des méchans… loin, bien loin des orages politiques… Ah ! je n’ai jamais désiré d’autre bonheur !… Cher Anatole ! voilà bien longtemps que je rêvais une pareille existence… mais alors tu aimais Paris et je n’osais pas te dire à quoi point je le haïssais… j’aurais été cruelle de t’en arracher.

— Oui, fuyons, fuyons, murmura tout bas Anatole, pour rester pur.

— Mais c’est un sacrifice que tu me fais, sans doute, Anatole ?… ce Paris, tu l’aimes peut-être encore ?

— Non, répondit sourdement Anatole, je le déteste ; nous sommes faits tous deux pour vivre à la campagne. Ils sont factices tous les plaisirs que l’on goûte ici. Dans cette ville toute pleine de bruits et de ténèbres, dans ce chaos d’hommes et de pierres, on n’entend nuit et jour que des lamentations, des rires d’impiété, des hurlemens… cris de douleur et de rage, cris de passions mauvaises !… J’ai besoin à présent de me recueillir loin du bruit que font les hommes, et d’entendre ce qu’on entend à toute heure du jour dans les plaines et les montagnes… tous ces murmures de feuilles et d’oiseaux, ces bourdonnemens vagues et indéfinissables, ces mystérieuses harmonies qui sont la voix de la nature et de Dieu !… Alors, Ô Mathilde ! rien ne manquera à ma félicité… tu seras près de moi… notre enfant grandira sous mes yeux… j’aurai mes livres, mes chers livres, que je n’ai pas ouverts depuis si longtemps !… Et mon vieux père au moins ne craindra plus qu’une autre main que la mienne lui ferme les paupières !… Nous aurons quelques amis, deux ou trois seulement… et Gilbert viendra passer, de temps à autre, une semaine de bonheur avec nous.

Au nom de Gilbert, Mathilde ne put retenir un léger mouvement d’impatience, et dit avec un accent mêlé de reproche et de tendresse :

— Est-ce que ton père, ta femme et ton enfant ne te suffisent pas, Anatole ?… M. Gilbert est donc bien nécessaire à ton existence ?

— Tu ne l’aimes pas, Mathilde, et tu es injuste… Si tu savais quels soins dévoués et infatigables cet homme excellent t’a prodigués lorsque tu étais si malade !… Sans lui, Mathilde, je ne te presserais plus maintenant dans mes bras…

Et tout en parlant ainsi, Anatole serrait contre son cœur Mathilde qui l’inondait de caresses, de larmes et de baisers. Cette vive et délicieuse étreinte durait encore, lorsque la porte s’ouvrit, et Mariane annonça le docteur Gilbert.