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Page:Lacroix - Le Docteur Gilbert, 1845.djvu/17

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le docteur gilbert.

l’Opéra et des femmes entretenues les plus fringantes de la Chaussée-d’Antin ; et ces dames, enchantées d’avoir un docteur aussi galant, aussi aimable, lui payaient presque toujours, sans marchander, les honoraires qu’il exigeait d’elles. Toutefois, M. Gilbert ne se contentait pas d’être médecin, il écrivait de temps en temps quelques vaudevilles assez égrillards qu’il faisait jouer le plus facilement du monde, grâce à l’empire qu’il avait su prendre sur deux ou trois directeurs de théâtre, qui ne mettaient pas tous les jours l’orthographe ; doué d’un magnétisme de regard inconcevable, d’un amour-propre immense et d’un aplomb merveilleux, il n’avait pas la moindre peine à persuader à ces bonnes gens que chacune de ses pièces était un chef-d’œuvre, qui ne pouvait manquer d’emplir leur caisse vide. Le docteur Gilbert était un de ces mortels privilégiés qui réussissent dans tout ce qu’ils entreprennent : il excellait à jeter de la poudre aux yeux. Les femmes en raffolaient ; et, certainement, s’il avait eu soin depuis l’âge de vingt ans d’enregistrer toutes ses maîtresses, sa liste n’eût guère été moins longue que celle de don Juan.

— Vous ne m’attendiez pas sans doute de si bonne heure, madame ? dit Gilbert en jetant un coup d’œil observateur et furtif sur le canapé dont les coussins étaient foulés.

— Il est vrai, monsieur, répondit Mathilde avec une politesse froide et réservée ; je présume que vous avez quelque chose à dire en particulier à mon mari ?… Je vous laisse.

Et madame de Ranval fit quelques pas vers la porte après avoir salué le docteur.

— De grâce, madame, demeurez ! dit celui-ci d’un air mélancolique et suppliant, c’est pour vous absolument que je viens…

Puis, se tournant vers Anatole, il lui demanda d’un accent plein d’intérêt comment madame de Ranval avait passé la nuit.

— Assez bien, je présume, Gilbert, répondit Anatole ; mais pourquoi ne lui adresses-tu pas à elle-même cette question ?

— Ah ! c’est que madame ne veut jamais être malade, reprit Gilbert avec un sourire équivoque ; elle a peur sans doute de mes ordonnances… car jamais elle ne veut me dire quand elle souffre ; il faut que je le devine. Oui, Anatole, madame se laisserait plutôt mourir, que de m’envoyer chercher. Heureusement que je n’attends pas qu’on m’appelle.

— En vérité, monsieur, répondit Mathilde qui ne put s’empêcher de baisser les yeux devant le regard fixe et pénétrant du médecin, j’aurais honte la plupart du temps de vous déranger pour une migraine et de légères indispositions qui ne m’inquiètent nullement ; sans être malade, je ne suis jamais complètement bien ; mais, après le choc qu’elle a reçu, ma santé ne peut se remettre que petit à petit ; et si vous n’aviez pas l’extrême attention de venir aussi fréquemment, je crois que je prendrais mon mal en patience sans vous en importuner.

Il y avait dans l’accent de Mathilde une certaine aigreur qui n’était pas naturelle à sa voix, toujours douce et bienveillante ; le docteur n’eut pas l’air de s’en apercevoir, et, saluant madame de Ranval avec un sourire aimable et galant, comme pour la remercier des paroles obligeantes qu’elle venait de prononcer, il lui dit en appuyant sur chaque mot :

— Oui, madame, je sais que vous êtes patiente et courageuse, et que vous savez souffrir sans vous plaindre ; mais si vous n’êtes jamais inquiète de votre santé, vos amis le sont pour vous, madame… À vrai dire, hier soir en vous quittant, j’étais un peu tourmenté ; je vous avais laissée avec un commencement de fièvre, vous toussiez beaucoup, et je craignais presque une rechute…

— Je vous remercie, monsieur, de l’intérêt que vous prenez à ma santé, répondit Mathilde avec une légère inclinaison de tête.

— Ah ! madame, je ne puis vous cacher qu’elle est encore bien chancelante… elle a reçu dernièrement une rude atteinte, et sans une extrême