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le docteur gilbert.

séduire !… Vous à qui si peu de femmes ont résisté !… Qu’elle vous aime ou non, tâchez de la vaincre !… Tout moyen sera bon, pourvu qu’elle vous cède !… Oh ! comme je serai joyeuse alors de la voir à son tour humiliée, flétrie, courbant la tête !…

— Parlez moins haut, Victorine ! dit le médecin en montrant la porte, on pourrait vous entendre. Le succès dépend de vous entièrement… Si vous avez de l’adresse, je vous jure que Mathilde est à moi ce soir !… Mais je vous répète qu’il faut pour cela que vous reteniez chez vous Anatole… car si vous le laissez partir, c’en est fait… mon entreprise échoue… Écoutez, Victorine, c’est un projet hardi !… Mais je me sens capable de l’exécuter… Je ne veux pas en calculer les dangereuses conséquences… J’aime, et pour un seul baiser de Mathilde, je suis prêt à sacrifier mon sang, ma vie !… C’est une fièvre, cet amour !… c’est un délire !… une rage ! Oui, je suis fou d’exhaler d’inutiles soupirs aux genoux d’une orgueilleuse qui ne m’aime pas… et qui, certes, est moins belle que tant d’autres femmes dont je n’ai pas voulu !… Mais enfin c’est un caprice auquel j’ai attaché mon existence, et, pour le satisfaire, j’emploierai, s’il le faut… On sonne !… C’est probablement Anatole… Victorine, qu’il ne se doute de rien !… tout à l’heure je vous laisserai seuls… et, plus tard, je trouverai bien un moment, Victorine, pour vous dire ce que vous avez à faire…

Il parlait encore, lorsqu’un domestique annonça M. Anatole.


VII.


Lorsque Anatole entra dans le salon, toute sa physionomie exprimait le trouble et l’embarras ; il pâlissait et rougissait tour à tour, et quand il s’avança vers madame Villemont pour la saluer, il sentit ses genoux se dérober sous lui, et tout son corps frémir involontairement.

Victorine elle-même semblait interdite : ses joues devinrent pourpres et son regard, naturellement hardi, se baissa comme intimidé devant celui d’Anatole. Elle se leva un instant du canapé sur lequel elle était assise, et répondit au salut d’Anatole par une inclination de tête aimable et gracieuse.

Enfin le docteur Gilbert s’approcha de M. de Ranval en souriant, lui donna une poignée de main, et voyant qu’ils ne se hâtaient ni l’un ni l’autre de rompre le silence, il crut devoir engager lui-même la conversation.

— Enfin, mon ami, dit-il en poussant un long soupir tant soit peu ironique, te voilà !… c’est, ma foi, bien heureux !… pourtant mieux vaut tard que jamais !… Madame et moi, nous commencions à désespérer de ta visite… Oui, nous te croyions parti.

— Oh !… je n’aurais pas voulu monter en voiture, répondit Anatole avec un peu d’hésitation dans la voix, sans venir témoigner moi-même à madame tous mes regrets de ne pouvoir me rendre à son obligeante invitation…

— Quoi ! monsieur, dit Victorine d’un accent très altéré, décidément, je n’aurai donc pas l’honneur de vous recevoir à mon bal ?… Ah ! monsieur, moi qui comptais sur votre présence pour l’embellir !… Il me semblera triste et vide, si vous n’êtes pas là !…

— Oh !… madame ! répondit Anatole qui sentit redoubler les battemens de son cœur ; je suis vraiment désolé de ne pouvoir… mais le docteur Gilbert vous a déjà fait sans doute mes excuses, madame… il a dû vous