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Page:Lacroix - Le Docteur Gilbert, 1845.djvu/38

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le docteur gilbert.

— Cet homme m’impose, pensait Victorine qui ne savait de quelle manière engager la conversation ; je ne trouve rien à lui dire !

Enfin, après avoir hésité quelque temps encore, elle dit d’une voix tremblante d’émotion.

— Il faut convenir, monsieur, que le hasard nous sert quelquefois étrangement… Je ne savais pas que vous demeuriez dans cette maison, quand j’y suis venue prendre un appartement… Certes, je ne pouvais mieux choisir !

— En effet, madame… balbutia Anatole, vous avez un appartement superbe… beaucoup plus vaste que l’autre… Je ne puis qu’applaudir à votre bon goût, madame… Ce salon est magnifiquement décoré… les meubles, les draperies sont admirables !…

— Oui… répondit Victorine, ils ne sont pas trop mal… À vrai dire, ce n’est pas moi qui les ai choisis, monsieur… mais ils m’ont plu au premier coup d’œil. Cet appartement, comme vous le savez, je présume, était occupé par un M. de Ronsoff, qui, se trouvant obligé de partir brusquement pour la Russie, m’a vendu ce mobilier.

— Tout cela, madame, a dû vous coûter fort cher… poursuivit Anatole en regardant Victorine avec tristesse.

— Mais… assez cher… dit-elle en changeant d’altitude pour dissimuler son trouble ; néanmoins, comme l’appartement m’a tout de suite convenu, le prix ne m’a pas arrêtée… Celui que j’avais rue du Helder était vraiment par trop mesquin…

— Il me semblait fort joli, madame, reprit Anatole ; puis, avec hésitation, il ajouta : — Voyez-vous toujours quelquefois M. Dubreuil, madame ?…

— Non, monsieur, répliqua-t-elle d’une voix ferme, j’ai définitivement rompu avec lui… Depuis long-temps je voulais sortir de la position fausse où je me trouvais, et me réhabiliter aux yeux du monde !… Je l’ai fait, monsieur… et j’ose dire que c’est à vos conseils que je dois cet heureux changement… Allez, j’ai beaucoup réfléchi depuis trois mois… et dernièrement enfin mes yeux se sont ouverts… Oui, monsieur Anatole, il y a trois semaines environ, j’ai pris tout à coup la résolution sérieuse de vivre honorablement ; et, ne consultant que ma conscience, j’ai déclaré à M. Dubreuil que je ne pouvais plus désormais le voir ni rien accepter de lui !… Ses prières, ses larmes n’ont pu m’ébranler !… j’ai résisté aux plus magnifiques promesses, aux offres les plus brillantes !… J’avais la misère et la faim en perspective… et je n’ai pas hésité… Est-ce que le docteur Gilbert ne vous avait pas dit cela, monsieur ?…

— Il me l’avait dit, madame !… répondit Anatole d’une voix lente et grave.

— Et vous ne l’avez pas cru ! ajouta Victorine avec une exclamation douloureuse : avouez que vous ne l’avez pas cru !…

Anatole demeura immobile et ne fit aucune réponse.

— Vous n’avez pas cru, monsieur, qu’une pauvre jeune femme égarée pût avoir des remords et qu’elle fût capable de préférer la misère à la honte !… Cela est pourtant vrai, monsieur, je ne vous en impose pas !… Du sein de la fortune et des jouissances, je me suis vue tout à coup précipitée dans un état de gêne et de privations bien cruel pour moi, monsieur !…

— Mais je vois avec plaisir que ce cruel état de gêne n’a pas duré long-temps, madame… reprit Anatole en tournant la tête comme pour examiner les objets fastueux qui l’environnaient ; grâce à Dieu ! la fortune vous sourit de nouveau…

— Oui ! le ciel, je crois, m’a récompensée de mon courage ! dit Victorine ; je me suis réconciliée presque aussitôt avec un de mes oncles qui est fort riche et qui a toujours eu pour moi beaucoup de tendresse : touché de mon repentir, et craignant que mes habitudes de luxe et de folles dé-