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le docteur gilbert.

bablement comme vous avez payé plusieurs fois vos dettes ?… en laissant vendre vos meubles par autorité de justice…

— De grâce, monsieur, élevez moins la voix, interrompit Victorine d’un air inquiet et suppliant ; mes domestiques peuvent vous entendre… Ne me compromettez pas !… Au nom du ciel ! ayez pour moi quelques égards !

— Des égards !… En avez vous pour moi, madame de Saint-Borry ?

— Monsieur, je vous en prie, parlez moins haut, ou venez autre part !…

— Avouez, madame, continua M. Villemont, en secouant la tête avec un air de satisfaction menaçante, avouez que je ne suis pas si bête que vous l’avez pu croire… et qu’un receveur général n’est par une vache à lait qu’on peut traire aussi facilement que les femmes de votre sorte se l’imaginent !… Ah ! ah ! vous ne m’attendiez pas, ma chère !… et moi je me doutais de quelque chose !… voilà pourquoi j’ai pris la poste.

— Monsieur, dit Victorine à demi suffoquée par la colère qui s’amassait depuis long-temps en elle, et qui ne demandait qu’à s’échapper, sans doute je vous ai de grandes obligations… mais enfin je ne suis point votre esclave !… je ne vous dois pas compte de mes faits et gestes !

— Si, madame ! vociféra M. Villemont d’un accent plus furieux ; vous figurez-vous par hasard que je vous ai loué dans cette maison un appartement de six mille francs pour y donner des bals et des mascarades… pour y recevoir tout Paris, tous ces petits faquins d’artistes à moustaches qui viendront vous conter fleurettes ?… Non, non, non, madame !

— Monsieur… vous m’outragez ! dit Victorine dont les yeux étincelaient.

— Allez ! allez, ma belle, poursuivit le financier en accompagnant chaque mot d’un violent coup de canne au parquet, vous n’êtes pas la première qui ait voulu me tromper !… mais, quoique receveur général, je suis plus fin que vous toutes, mesdames !

Un domestique, qui sans doute écoutait à la porte depuis le commencement de la scène, charmé d’avoir une occasion d’humilier sa maîtresse sans courir le moindre risque, entra dans le salon avec un paquet de lettres qu’il remit à Victorine. — Voici pour madame, dit-il avec une salutation profonde.

— Qui vous a permis d’entrer ? répondit-elle brusquement, en toisant le domestique d’un regard irrité.

— Madame… je croyais… bégaya celui-ci, d’un air confus.

— Est-ce que je vous ai sonné ?… reprit Victorine en lui montrant la porte d’un geste impérieux. Sortez !

M. Villemont tira de sa poche une paire de lunettes vertes qu’il se posa sur le nez, et, ramassant une lettre que le domestique avait fait tomber, il jeta les yeux sur la suscription.

Aussitôt ses grosses joues pendantes devinrent pourpres comme celles d’un homme frappé d’apoplexie.

Madame Villemont ! s’écria-t-il avec une intonation foudroyante. Quoi ! vous avez l’audace de prendre ainsi mon nom, et de tous faire passer peut-être pour ma femme !…

Victorine changea de couleur, et baissa la tête sans répondre.

— Vous ne vous gênez pas, madame de Saint-Borry, ajouta M. Villemont avec un rire amer et dédaigneux. Ah ! ah ! comme vous y allez !… Je veux bien de temps à autre vous conduire au spectacle dans une loge grillée, vous entretenir de robes et de chapeaux… mais voilà tout !… et je vous défends expressément de toucher à mon nom !… de le salir !…

— Le salir, monsieur !… répliqua Victorine d’une voix sourde et concentrée. Ne dirait-on pas que vous êtes un Montmorency !…

— Je suis un receveur général, madame, répondit majestueusement le financier, et je dois garder les bienséances, le décorum !… Songez à