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Page:Lacroix - Le Docteur Gilbert, 1845.djvu/43

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le docteur gilbert.

l’importance de ma position, et n’allez pas, je vous prie, me confondre avec ce niais que vous appelez monsieur Dubreuil, et qui s’est laissé escamoter son nom, aussi bêtement que sa bourse…

Enfin Victorine ne se contint plus.

— Monsieur… trêve d’impertinences !… dit-elle en se levant du canapé où jusque alors elle était restée assise. Je vous préviens que je ne souffrirai pas vos insultés. Vous êtes ici chez moi !

— Chez vous, madame… quelle insolence !… Ne savez-vous donc pas que tout ce qui est ici m’appartient, madame !… ces rideaux, ces meubles, cet appartement !… et je puis vous chasser comme une mendiante !…

— C’est moi qui vous chasserai comme un valet ! s’écria Victorine, hors d’elle-même. Cessez vos injures, monsieur !… ou je vais sonner mes gens qui vous mettront dehors par les épaules !… Ici, rien n’est à vous, monsieur !… Cet appartement est loué en mon nom… j’ai le bail dans mon secrétaire !… ces meubles m’appartiennent !… ils sont chez moi !…

— Ah ! ils vous appartiennent !… reprit le financier dans une exaspération impossible à décrire ; Et prenant sa canne par le bout, il la fit tournoyer autour de sa tête, et brisa en mille morceaux la pendule et les vases qui décoraient la cheminée.

Victorine pousse un cri terrible et secoue de toute sa force le ruban de la sonnette.

Deux domestiques accourent.

— Jetez-moi cet homme à la porte !… dit-elle, pâle de fureur, en désignant M. Villemont d’une main tremblante.

Les domestiques s’approchèrent de M. Villemont avec une répugnance visible ; mais ils n’osèrent pas mettre la main sur lui.

— Quoi, misérables !… dit le financier en levant sa canne d’un air formidable, auriez-vous l’audace ?… Ne me touchez pas !… ou je casse La tête au premier qui avance !

Les domestiques firent plusieurs pas en arrière.

— Victorine, infâme créature ! continue M. Villemont, je t’abandonne !… et j’espère que je te verrai mourir sur la paille !…

— Encore une fois, jetez-le dehors, dit Victorine, ou je vous chasse !…

— Allons, monsieur, dit le plus effrayé des domestiques, je vous en prie, allez-vous-en de bonne volonté… puisque madame le veut.

— Oui, monsieur, ajouta l’autre d’un ton patelin, ne nous forcez pas d’en venir à de fâcheuses extrémités.

Et comme M. Villemont ne bougeait pas d’une ligne et que Victorine, la main étendue vers la porte, les pressait avec un geste impératif d’exécuter son ordre, ils se précipitèrent sur le financier, le désarmèrent, et l’empoignant, l’un par la tête, l’autre par les jambes, ils l’emportèrent malgré ses cris, ses imprécations et ses ruades.

— Gredins ! hurla M. Villemont d’une voix enrouée, savez-vous bien que je suis receveur général !…

— Quand vous seriez le pape, ça m’est égal ! répliqua gravement l’un des porteurs. Je ne connais que mon devoir.

Et les derniers blasphèmes du receveur général ne s’entendirent plus qu’à travers les battans fermés de la porte.