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le docteur gilbert.

— Et vous sentez-vous mieux que ce matin, madame ? reprit le docteur avec une inflexion doucereuse qui n’était pas naturelle à sa voix.

— Beaucoup mieux, je vous remercie, répliqua Mathilde, qui, voyant que Mariane se disposait à quitter la chambre, fut sur le point de lui dire de reste ; mais elle n’osa point, et laissa Mariane sortir.

— En effet, madame, poursuivit Gilbert, vous avez bien meilleur visage que tantôt : vous êtes en voie de guérison, et j’espère qu’avec un peu de ménagement et de soumission au régime et que je vous ai prescrit, vous serez bientôt hors d’affaire, et peut-être mieux portante et plus belle que jamais.

Vous voyez, monsieur, avec quelle déférence je me suis conformée à vos ordres. Malgré tout mon désir d’accompagner Anatole, je suis restée…

— Et je vous en remercie du fond de mon cœur, madame, répondit chaleureusement Gilbert. Si vous n’aviez pas suivi les conseils de mon expérience et de mon amitié, madame, je me serais jeté à vos genoux, j’aurais supplié Anatole de vous retenir de force, oui, de force, madame !… plutôt que vous laisser commettre une aussi grande imprudence ! Le temps est épouvantable, et vous auriez cruellement souffert cette nuit. Votre place est au coin du feu, madame…

— Et la vôtre aussi, je présume, docteur, interrompit Mathilde avec un sourire où Gilbert crut démêler une légère intention d’ironie. Par un si mauvais temps, on est mieux chez soi que partout ailleurs ; et, franchement, j’admire votre courage, d’avoir bravé le vent et la grêle pour une malade… aussi bien portante que moi. Je suis au désespoir, monsieur, d’être cause que vous vous soyez dérangé.

— Ah ! madame, répartit Gilbert d’un ton de galanterie moitié sérieux, moitié badin, pour vous voir, ne fût-ce qu’une seconde, je traverserais à la nage le détroit de Léandre !… Vous avouerez donc que je n’ai pas fait un sacrifice bien méritoire à vos yeux, d’affronter les ruisseaux de la capitale dans une bonne voiture qui me ramènera chez moi. D’ailleurs, il faut tout vous dire, madame, je vais ce soir au bal dans cette maison, chez votre nouvelle voisine.

— Chez madame Villemont ? reprit Mathilde avec intérêt.

— Justement, madame, répondit Gilbert d’un air d’indifférence. Je n’avais pas grande envie d’aller à cette fête, qui sera pourtant magnifique, à ce qu’on dit… Je suis tellement fatigué de bals, que j’évite comme le feu toutes les invitations ; mais on m’a tant prié de venir, que je n’aurais pu refuser sans impolitesse.

— Vous connaissez beaucoup cette dame, monsieur ? demanda Mathilde, qui ne put se défendre d’un certain mouvement de curiosité au sujet de cette femme mystérieuse dont elle avait plusieurs fois dans la journée entendu prononcer le nom.

— Je la connais assez intimement, madame, depuis trois ou quatre ans que je suis son médecin : c’est une femme très à la mode, éblouissante d’esprit, de charmes et de séductions. Mais, par malheur, sa conduite n’est pas irréprochable.

— Mais c’est une femme mariée, je crois ? dit Mathilde avec une espèce d’hésitation.

— Oh ! mariée, si l’on veut… répliqua le docteur en souriant d’une manière significative.

— Je ne vous comprends pas, monsieur.

— C’est-à-dire, ajouta Gilbert, que pour convoler en secondes noces elle n’aura pas besoin d’attendre la mort de son mari, ni d’avoir recours au divorce qu’on parle de rétablir. Son mari, madame… vous me pardonnerez l’expression que j’emprunte à la finance, n’est autre chose que son caissier.

— Ah ! je crois vous comprendre, monsieur… répondit Mathilde dont