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le docteur gilbert.

— Dire qu’il y a de pareilles femmes ! murmura douloureusement Mathilde. Je suis bien forcée de le croire maintenant… Ah ! quelle honte pour notre sexe !… Comme ces femmes doivent être malheureuses… elles n’ont jamais aimé !… Pauvre Victorine !…

— Oh ! oui, madame, ajouta la vieille bonne d’une voix émue, quoiqu’elle soit bien coupable, je ne puis m’empêcher de la plaindre.

— Elle ! mon amie d’enfance, poursuivit Mathilde, qui sentit descendre une larme le long de ses joues. Elle, si éclatante d’esprit et de beauté ! Elle qui aurait fait l’ornement du monde et l’orgueil d’un époux !… En être venue là !…

— Je ne l’ai vue qu’une seule fois, cette pauvre malheureuse ! dit Mariane qui partageait l’attendrissement de sa maîtresse : il y a de cela près de trois ans, madame ; je ne me rappelle que vaguement ses traits, mais je me souviens que sa beauté me frappa… Depuis ce temps, madame, savez-vous ce qu’elle est devenue ?

— Non, Mariane ; et par momens, je pense à elle avec une émotion profonde… Peut-être son âme n’était-elle pas encore entièrement corrompue… peut-être y avait-il encore quelque ressource !… Pauvre fille ! j’ai comme un remords de l’avoir abandonnée ; je me reproche amèrement de n’avoir pas fait plus d’efforts pour la ramener au bien…

Vous n’avez rien à vous reprocher, madame… je sais que vous lui donnâtes alors les conseils d’une mère… Elle n’a pas voulu les suivre… Que pouviez-vous de plus ?

— Hélas ! reprit Mathilde en soupirant, je l’aime toujours, malgré ses fautes, malgré la haine injuste et cruelle qu’elle m’a jurée… et si je pouvais la servir… On sonne, je crois, Mariane ?… oui. Qui peut venir à cette heure ? Si c’est une visite, je ne suis pas en état de recevoir. Dis que je suis un peu souffrante.

— Oui, madame, répondit Mariane en sortant de la chambre.

Mathilde demeura un moment silencieuse et pensive ; puis elle murmure confusément ces mots :

— Je ne sais pourquoi… mais je ne puis bannir la tristesse qui m’accable. Pourtant je n’ai aucun motif de chagrin… Je suis persuadée maintenant que la maladie de mon fils n’a rien de grave… Je devrais au contraire me trouver bien heureuse, à présent que je ne doute plus de l’amour d’Anatole… Pauvre ami, comme j’étais injuste à son égard !… Jamais peut-être il ne m’a plus aimée !…

— Madame, c’est le docteur Gilbert, dit Mariane en rouvrant la porte.

Mathilde fut au moment de dire : — Qu’il n’entre pas ! — Mais un trouble indéfinissable l’empêcha d’articuler une seule parole.

Le docteur entra. Il était en costume de bal.


XII.


Mathilde ne put retenir un léger mouvement d’impatience que le médecin remarqua.

— Pardon, madame, si je vous dérange, dit-il en s’inclinant profondément. Il est peut-être un peu tard pour venir m’informer de votre santé ; mais j’obéis au désir d’Anatole. Oui, madame, au moment de monter en voiture, il m’a fait promettre que je ne me coucherais pas sans savoir comment vous vous portiez.

— Vraiment, monsieur, répondit Mathilde d’un ton froidement poli, Anatole se préoccupe trop de ma santé… et vous êtes trop bon pour moi : je vous suis très obligée.