Mathilde leva les yeux et vit sa femme de chambre qui la regardait douloureusement.
— Ma bonne Mariane, dit-elle en lui pressant la main avec affection, je te fais de la peine !… mais je n’ai rien, va… sois tranquille. C’est un peu de fatigue ; il n’y paraîtra plus demain.
— Oh ! je l’espère bien, madame.
— Mariane, il est déjà tard, continua Mathilde en dirigeant ses yeux vers la pendule. Tu dois avoir besoin de repos, va te mettre au lit. Moi, j’ai une lettre importante à écrire avant de me coucher,
— Eh bien ! je vous attendrai, madame.
— Non, ma bonne Mariane, je ne veux pas que tu m’attendes ; à ton âge, le sommeil est trop nécessaire. D’ailleurs, ne t’inquiète pas, je me déshabillerai bien toute seule… je n’ai pas de lacets à défaire… Va, va, je t’en prie… si tu m’attendais, je serais préoccupée, et je ne pourrais pas écrire ma lettre.
— Puisque vous le voulez, madame, je vous obéis, dit Mariane avec émotion.
— Allons, adieu, chère Mariane ! dit Mathilde en l’embrassant, passe une bonne nuit.
— Ah ! mon Dieu ! s’écria Mariane, comme vos mains sont froides, comme vous tremblez !…
— Ce n’est rien, Mariane, il fait un peu froid dans cette chambre. Avant de sortir, mets une bûche dans la cheminée, car le feu s’éteint… Allons, adieu, Mariane,
— Adieu, madame… répondit la vieille bonne d’une voix étouffée ; et, serrant encore une fois les mains de Mathilde avec affection, elle tourna sur elle un regard plein d’une amère et tendre sollicitude ; puis elle se retira.
XV.
Quelques minutes s’écoulèrent, sans que Mathilde rompît le silence. Elle était assise immobile et pale comme une statue de marbre ; on n’eût pas dit une créature vivante, si de faibles soupirs n’eussent de temps à autre soulevé sa poitrine, et si de grosses larmes qui descendaient lentement le long de ses joues ne fussent tombées une à une sur le châle qui l’enveloppait. Tout à coup elle se lève, et, marchant d’un air agité, elle dit avec amertume :
— Voilà donc le secret qu’il me cache depuis un an… Voilà donc pourquoi il me dédaigne… Oh ! Dieu ! quelle humiliation… Il n’est donc plus ni bonne foi, ni probité dans ce monde !… À qui se fier désormais ?… Tous les hommes sont donc les mêmes… faux, perfides, ingrats… Malheureuse ! et quelle femme il me préfère !… Victorine Darbois… une courtisane effrontée !… l’opprobre de notre sexe !… Oh ! comme elle triomphe !… Comme sa noire méchanceté respire dans chaque ligne de cette exécrable lettre !… Relisons-là.
« Mathilde, ne sois plus si fière… Tu croyais qu’on t’aimerait toujours ; et bien ! il ne t’aime plus, ce mari qui faisait ta joie et ton orgueil… il ne t’aime plus, te dis-je !… Que te sert d’être belle et vertueuse ?… Il en aime une autre… Et c’est moi !… »
— Ah ! l’infâme ! comme elle me raille en me poignardant, dit Mathilde avec l’accent d’une profonde douleur ; puis elle tomba dans un morne silence, et deux torrens de pleurs sillonnèrent ses joues.
— Mais elle ment peut-être ! s’écria-t-elle ; Anatole aimer cette indigne