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Page:Lacroix - Le Docteur Gilbert, 1845.djvu/63

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le docteur gilbert.

— Mariane, dit sourdement Mathilde en essuyant deux grosses larmes qui roulaient sur ses joues. Anatole est un homme sans honneur !

— Que dites-vous, madame ?

— Il me trompait, Mariane !…

— Lui !…

— Je te le disais bien ! reprit Mathilde avec une émotion douloureuse et poignante… je te le disais bien !… et tu ne voulais pas me croire…

Mariane était comme pétrifiée.

— Eh bien ! continua Mathilde, il me trompait… Cette femme, dont ce matin il faisait semblant d’ignorer le nom… cette femme est sa maîtresse !…

— Se pourrait-il !… s’écria Mariane en frissonnant. Quoi ! madame Villemont !…

— Non !… mais Victorine Darbois, Mariane !… c’est elle-même !…

— Ciel !…

Et Mariane venait de tomber comme anéantie dans un fauteuil : elle avait la poitrine pleine de sanglots qui l’étouffaient.

— Oh ! non !… reprit-elle avec force, non ! c’est impossible !… Anatole est innocent !… On l’a calomnié !…

— On ne l’a pas calomnié, Mariane, répliqua Mathilde d’une voix grave et profonde.

— Mais qui vous a dit, madame ?…

— On ne m’a rien dit… j’ai vu, Mariane ! interrompit Mathilde avec un de ces longs soupirs qui brisent le cœur en s’échappant. Il sort des bras de l’infâme Victorine !… Ce voyage de Fontainebleau n’était qu’un prétexte… J’ai tout su Mariane !… et je me suis introduite, à la faveur de ce déguisement, chez sa maîtresse, chez cette prétendue madame Villemont !… Je les ai vus s’enfermer ensemble, Mariane !… Et, cachée dans un cabinet voisin, — une faible cloison, nous séparait, — j’ai entendu leurs paroles d’amour !… oui, Mariane, j’ai entendu leurs atroces baisers… Après cela, Mariane, tu sens bien que je ne peux plus vivre désormais avec Anatole !… Dès demain je pars !… je l’abandonne à cette malheureuse !…

Et dans les larmes de Mathilde, il y avait presque autant de rage que de douleur. Elle, toujours si résignée, si patiente, et dont le visage avait jusque alors conservé, malgré la maladie et le chagrin, son expression d’angélique douceur… ce n’était plus la même femme… ses yeux d’un bleu tendre comme le ciel au matin, et toujours baignés d’une mélancolie rêveuse et charmante, ses yeux lançaient un feu sombre à travers d’épaisses larmes ; sa figure était livide et contractée ; un mouvement convulsif et nerveux secouait sa tête. Elle faisait mal à voir.

— Madame, ah ! par pitié !… dit Mariane en prenant les mains de sa maîtresse et les inondant de pleurs et de baisers ; je vous en supplie, madame ! pas d’éclat !… Pardonnez-lui… c’est votre époux !… c’est le père de votre enfant !

— Ah ! l’infâme !… l’infâme !…

— Pardonnez-lui, madame ! continua Mariane d’une voix déchirante, en se précipitant aux genoux de Mathilde, qu’elle arrosait de ses larmes. Songez que vous avez un fils… Ah ! que le père et la mère ne soient pas désunis… Que deviendrait la pauvre créature ?… Oh ! pardonnez ! pardonnez !… au nom du ciel !… au nom de votre enfant !…

— Je ne lui pardonnerai jamais ! dit Mathilde avec une inflexion tremblante et solennelle. Tout ce que je puis faire pour lui, c’est de mourir… Il sera libre… heureux… et je souhaite que son bonheur ne soit pas mêlé de remords !

Mariane poussait des gémissemens plaintifs.

— Écoute, ma bonne fille, ajouta Mathilde dont la voix et le regard s’attendrirent tout à coup ; ô toi ! le seul être au monde qui m’ait toujours