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le docteur gilbert.

M. de Ranval poussa un cri ; et son visage pâle sembla pâlir encore.

— Oh ! comme tu as pris de lâches détours pour me tromper, Anatole !… poursuivit-elle avec l’accent du mépris.

Anatole venait de se laisser tomber dans un fauteuil ; il demeurait immobile.

— Oui, va, baisse les yeux… pâlis… meurs de honte !… car ce que tu as fait est vil, indigne, atroce !…

En parlant ainsi elle sanglotait.

— Mathilde ! murmura faiblement Anatole, dont la tête lourde et penchée sur une épaule était comme un poids qu’il ne pouvait soutenir ; tu as raison, je suis un misérable !… et ma conscience m’en dit plus encore que tu ne m’en pourrais dire… Mais, pitié ! ne m’accable pas !… je suis bien malheureux !…

Et, prenant la main de Mathilde, il voulut y coller ses lèvres.

— Recule ! s’écria Mathilde en retirant avec horreur et dégoût ses mains qu’il arrosait de larmes brûlantes, ne m’approche pas !… retourne auprès de ta maîtresse !…

Anatole fit un cri terrible ; et se précipitant à genoux, la face aux pieds de Mathilde :

— Oui, je suis un monstre ! J’ai trahi lâchement tout ce qu’il y a de saint et de sacré sur la terre ; l’honneur, la confiance, les sermens !… J’ai profané l’amour et la foi conjugale !… Je t’ai récompensée, ô chaste et noble femme, par la plus noire ingratitude. Hélas ! j’avais si long-temps résisté !… Ce matin encore j’étais pur et digne de ton amour !… mais le démon qui s’acharnait après moi nuit et jour, m’a entraîné de force, m’a poussé dans le piège infernal qu’il m’avait tendu.

Et ses larmes coulaient toujours abondamment sur les pieds de Mathilde.

— Va, c’est une belle gloire de m’avoir trompée ! dit-elle avec un accent de profonde affliction ; moi, pauvre femme crédule et aveugle, qui t’aimais avec toute mon âme… Cruel ! cet amour était ma vie !… Aurais-je pu croire que tu n’aimais pas, toi !… et que tu me trahissais… Ah ! malgré tout ce qu’on pourrait me dire, je ne le croirais pas encore, je ne voudrais pas le croire, si mes yeux, mes propres yeux… Exécration !… Et quelle femme m’as-tu préférée, ingrat !… une malheureuse toute pleine de vices et d’infamie !… qui n’est même pas belle !

— Elle me fait horreur maintenant, dit Anatole. Hélas ! j’avais comme un nuage sur les yeux… il s’est dissipé tout à coup… et j’ai vu clair, j’ai vu la réalité, Mathilde, et j’ai frémi… Elle m’est apparue, cette femme, dans toute la laideur du vice et de la débauche ! C’est alors que j’ai compris, ô Mathilde, combien la vertu est belle et combien tu es pure !… et je me suis trouvé bien vil, bien misérable d’avoir sacrifié l’ange au démon… Mais, je te le répète, douce et tendre victime, longtemps, bien longtemps, j’ai su résister… Ah ! si tu savais toutes les ruses, toutes les manœuvres, toutes les embûches employées pour me perdre, je te ferais moins horreur que pitié…

— Horreur et pitié tout ensemble, Anatole !… Oh ! tu m’as blessée au cœur !… Et je ne te pardonnerai jamais… Non, quand je vivrais un siècle, je ne te pardonnerais pas…

Et, d’une voix attendrie :

— Ingrat ! moi qui t’aimais tant ! moi qui aurais donné ma vie pour épargner à ton cœur un chagrin, à tes yeux quelques larmes… Ah ! c’est une abominable trahison… Fuis ! fuis ! va-t-en ! ta vue est pour moi plus affreuse que la mort.

Anatole demeurait toujours aux pieds de Mathilde, pâle, frissonnant, les mains jointes ; soudain il laisse échapper un lamentable soupir, et son front résonne contre le parquet ; puis, d’une voix faible et saccadée, il dit :