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le docteur gilbert.


XIX.


— Me voici, madame.

— Mariane, vite un médecin… mon mari se meurt.

Mariane poussa un grand cri.

— Il est empoisonné ! dit Mathilde. Va ! va !… chez madame Villemont… Le docteur Gilbert y est encore… qu’il vienne.

— Non ! qu’il ne vienne pas, le misérable ! s’écrie Anatole dont les yeux presque éteints lancèrent comme un éclair de fureur. Qu’il me laisse mourir tranquille…

Mariane était près d’Anatole, agenouillée et toute ruisselante de larmes ; elle lui baisait les mains et l’inondait de pleurs et de caresses.

— Oh ! pauvre cher enfant… toi que j’ai vu naître… faut-il que je te voie mourir !…

— Cours, Mariane, cours ! dit Mathilde en l’arrachant du corps d’Anatole. Sa vie dépend d’une minute !

— Non, je ne veux pas voir Gilbert ! dit vivement Anatole en étendant une main vers Mariane, comme pour la rappeler et l’empêcher de sortir. S’il vient, l’infâme !… je le tuerai !… Ah ! le poison !… le poison !… Je souffre !…

— Mariane ; aide-moi !… portons-le sur ce canapé…

Et toutes deux elles soulevèrent Anatole avec effort, et le traînèrent près d’un canapé sur lequel il tomba pesamment, comme une chose inerte et sans vie.

Déjà Mariane était au bas de l’escalier et courait toute haletante, malgré son âge et la faiblesse de ses jambes qu’elle sentait fléchir à tout moment.

Mathilde était penchée sur Anatole, et ne pouvait plus articuler un mot, tant sa poitrine était gonflée. Anatole la pressait contre son cœur avec des bras défaillans, qui s’entr’ouvraient peu à peu et retombèrent enfin !

— Ô cher Anatole !… du courage… laisse-toi vivre… je puis te pardonner… Oui, je te pardonnerai, si tu vis !… j’oublierai tout… Mais j’entends du bruit !… c’est le médecin !… c’est Gilbert !…

— Qu’il n’entre pas !… crie Anatole en proie à d’épouvantables convulsions. Au nom du ciel ! qu’il n’entre pas !

— Quoi ! Gilbert ! ton meilleur ami…

— Dis plutôt mon assassin ! interrompit Anatole d’une voix profonde et brisée par l’agonie.

— Mais, c’est pour te sauver, Anatole…

— Lui, me sauver ! pauvre femme… quand c’est lui qui me tue.

— Grand Dieu !… Anatole !… que veux-tu dire ?

— Sans lui, Mathilde… je ne serais pas coupable… tu m’aimerais encore !…

— Ah ! s’écrie Mathilde en portant sa main à son front, comme pour rappeler un souvenir, quelle affreuse lumière !…

— C’est lui, Mathilde, qui m’a perdu… qui m’a poussé au crime… c’est lui qui, depuis un an, plane sur ma tête comme un esprit de l’enfer. Cet homme, c’est le démon… J’ai voulu fuir… il m’a poursuivi sans relâche et partout, m’empoisonnant de ses exécrables conseils… Enfin, il m’a traîné chez cette femme…

— Le scélérat ! interrompt Mathilde toute frissonnante d’indignation, et c’est lui qui m’a dit que tu me trahissais !

— Dieu !