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le docteur gilbert.

désir, il y a plus d’un quart d’heure que je devrais être à vos genoux, adorable Mathilde !… mais j’attendais que la cour fût entièrement déserte pour m’introduire dans cet escalier. Votre réputation m’est si chère que j’ai mieux aimé retarder mon bonheur de quelques momens… Enfin, je puis donc être heureux…

Et Gilbert s’avança vers Mathilde pour la prendre dans ses bras.

Mais un regard de Mathilde le fit reculer.

— Que venez-vous faire ici ? dit-elle d’un accent terrible.

Elle était blanche comme un linceul ; ses dents claquaient.

— N’ayez pas peur, dit Gilbert en se rapprochant de Mathilde ; personne au monde ne peut nous surprendre…

— Je n’ai pas peur ! interrompit-elle. C’est à vous de trembler !

— Oui, je tremble auprès de vous, divine créature, mais c’est d’amour… J’espère qu’il n’est pas besoin de vous rappeler votre promesse ! vous êtes femme, et la vengeance doit vous paraître bien douce, lorsqu’elle est aussi légitime.

— La vengeance ! oh ! oui, j’ai soif de vengeance… et je vais m’en assouvir.

Gilbert sentait son cœur bondir dans sa poitrine, le sang bouillonner dans ses tempes. Il était ivre, égaré, fou.

Mathilde avait reculé de plusieurs pas ; l’une de ses mains était appuyée sur le secrétaire et semblait chercher quelque chose en tâtonnant. Son œil était fixe et comme rivé sur la figure du médecin.

— Ô chère Mathilde ! soupire Gilbert avec une expression plus tendre et moins respectueuse, tu sais bien que je t’aime !… Oh ! ne crains rien… Anatole ne viendra pas… il ne peut troubler nos plaisirs…

— Vous croyez ?… interrompit Mathilde en secouant la tête avec amertume.

— Il n’y a plus de lumière dans la chambre de Victorine. Ils sont endormis, je viens de m’en assurer.

— Eh bien ! regarde, monstre ! s’écrie Mathilde, une main étendue vers le cadavre d’Anatole. Il est là !!

— Dieu !

Gilbert recule terrifié.

— Il est là, te dis-je… mort ! et c’est toi qui l’as tué !… Je sais tout, misérable !… Tu débauchais le mari pour séduire la femme !… Mais cette femme a dans ses mains la vengeance… Tu vas mourir.

Et, saisissant le bras de Gilbert, elle l’entraîne vers le cadavre, en appuyant le canon du pistolet sur la poitrine du médecin pétrifié de surprise et d’épouvante.

— Madame… bégaya-t-il en rejetant le haut de son corps en arrière et levant ses deux mains tremblantes.

— Meurs, lâche assassin !… meurs aux pieds de ta victime !…

Alors Gilbert tombe à genoux.

— Madame… par pitié !… s’écrie-t-il en joignant les mains ; songez à ce que vous allez faire !… Oui, je suis bien coupable !… mais je vous aime !… Hélas ! je n’avais plus la tête à moi… c’est l’amour qui a fait mon crime…

— Fuis ! exécrable ! fuis !… dit Mathilde en le poussant du pied. Tu es trop lâche, je ne te tuerai pas !… Mais va-t’en… ne me touche pas, surtout… Pas un mot !… pas un regard !… va-t’en !

Et Gilbert, toujours à genoux, pâle, anéanti, recule jusqu’à la porte devant Mathilde, qui, penchée sur le médecin, marche en lui tenant le pistolet sur la gorge ; puis, ouvrant la porte, elle la referme vivement sur Gilbert.

— Ah ! pauvre Anatole ! s’écrie-t-elle en s’élançant vers le cadavre de son mari et l’étreignant dans ses bras avec un profond désespoir, je ne te survivrai pas !…