Page:Lafargue - La légende de Victor Hugo, 1902.djvu/28

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de la Bourgeoisie, qui ne connaît que le donnant-donnant et l’égal échange et qui n’admet pas que l’on distribue des vers, des asticots ou des savates gratis pro deo. Convaincue que Victor Hugo ne faisait pas de « l’art pour l’art », mais produisait des vers pour les vendre, la bourgeoisie aurait imposé silence aux plumitifs envieux qui, sous Louis-Philippe, reprochaient à l’écrivain, ses gratifications royales.

Si le poète avait, sans ambages et détours exposé le véritable motif de sa conduite royaliste, il aurait rendu à la poésie française un service plus réel qu’en écrivant Hernani, Ruy Blas et surtout la préface de Cromwell : il aurait doté la France de plusieurs Hugo, bien qu’un seul suffise et au-delà à la gloire d’un siècle.

Baudelaire, cet esprit mal venu dans ce siècle de mercantilisme, ce mal appris qui abominait le commerce, se lamentait de ce que lorsque :

« Le poète apparaît en ce monde ennuyé,
Sa mère épouvantée et pleine de blasphèmes,
Crispe ses poings vers Dieu qui la prend en pitié. »

Pourquoi, dans les familles bourgeoises, des imprécations et des colères accueillent le poète à sa naissance ? Parce que, on a si souvent répété que les poètes vivent dans la pauvreté et meurent à l’hôpital, comme Gilbert, comme Malfilâtre, que les pères et mères ont dû finir par croire que poésie était synonyme de misère. Mais si on leur avait prouvé que dans ce siècle du Progrès, les romantiques