Page:Lafargue - La légende de Victor Hugo, 1902.djvu/48

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que lui et ses amis avaient fondé et consolidé dans le sang populaire.

Jeté à bas de ses rêves ambitieux et enfiévré par l’attente incessante de la chute immédiate de Napoléon III, Hugo pour la première et l’unique fois de sa vie lâche la bride aux passions turbulentes qui angoissaient son cœur. Déçu dans ses ambitions personnelles, il s’attaque furibondement aux personnes, aux Rouher, aux Maupas, aux Troplong, qui culbutèrent ses projets : il les prend à bras le corps, les couvre de crachats, les mord, les frappe, les terrasse, les piétine avec une fureur épileptique. Le poète est sincère dans les Châtiments : il est là tout entier avec sa vanité blessée, son ambition trompée, sa colère jalouse et son envie rageuse. Ses vers que les amplifications oiseuses et des comparaisons étourdissantes rendent d’ordinaire si froids, s’animent et vibrent de passion. On y dégage, sous des charretées de fatras romantique, des vers acérés comme des poignards et brûlants comme des fers rouges ; des vers que répètera l’histoire. Les Châtiments, l’ouvrage le plus populaire de Victor Hugo, apprit à la jeunesse de l’Empire la haine et le mépris des hommes de l’Empire.

Il est des hugolâtres de bonne compagnie, monarchistes, voire même républicains, qui s’effarent aux engueulades des Châtiments : ils n’en parlent jamais ou si parfois ils les mentionnent, c’est avec des précautions oratoires et des réticences infinies. Leur pudibonderie les empêche de reconnaître les services que ce pamphlet enragé rendit et rend encore aux conservateurs de toute provenance. Hugo agonise