Page:Lafargue - La légende de Victor Hugo, 1902.djvu/55

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tous les tons. Hugo le chantait à plein gosier quand il approuvait le cautionnement qui amputait du corps social la « liberté gangrenée » de la presse.

Hugo planta dans ses vers la rouge cocarde de l’Égalité. Mais il y a égalité et égalité comme poètes et poètes : il en existe autant que de morales. Toute classe, tout corps social fabrique à l’usage de ses membres une morale spéciale. La morale du commerçant, l’autorise à vendre sa marchandise dix et vingt fois au dessus de sa valeur, s’il le peut ; celle du juge d’instruction l’incite à user de la ruse et du mensonge pour forcer le prévenu à s’accuser ; celle de l’agent de mœurs l’oblige à faire violer médicalement les femmes qu’il soupçonne de travailler avec leur sexe ; celle du rentier le dispense d’obéir au commandement biblique : — « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front... » La mort établit à sa façon une égalité ; la grosse et la petite vérole en créent d’autres ; les inégalités sociales ont mis au monde deux égalités de belle venue : l’égalité du ciel, qui pour les chrétiens compense les inégalités de la société et l’égalité civile, cette très sublime conquête de la Révolution sert aux mêmes usages. Cette égalité civile, qui conserve aux Rothschild leurs millions et leurs parcs, et aux pauvres leurs haillons et leurs poux, est la seule égalité que connaisse Hugo. Il aimait trop ses rentes et les antithèses pour désirer l’égalité des biens qui du coup lui eut enlevé ses millions et dérobé les plus faciles et les plus brillants contrastes de sa poétique.

Bien au contraire, l’Événement du 9 septembre 1848 prenait la défense du « luxe que calomniait la