Page:Lafargue - La légende de Victor Hugo, 1902.djvu/57

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pour un socialiste, pour un partageux. Victor Hugo partageux ! — Mais plutôt que de partager quoi que ce soit avec qui que ce soit, il aurait immolé de sa main tous ses exécuteurs testamentaires et tout le premier son cher, son bien-aimé Vacquerie, qui ne pouvant se tuer sur son catafalque ainsi que les serviteurs sur les bûchers des héros antiques voulut être enseveli en effigie dans le tombeau du maître. Le poète était digne d’un tel sacrifice : Hugo fut en effet un héros de la phrase.

La révolution de 1848 lança dans la langue honnête et modérée un peuple nouveau de mots ; depuis la réaction littéraire commencée sous le consulat, ils dormaient dans les discours, les pamphlets, les journaux et les proclamations de la grande époque révolutionnaire et ne s’aventuraient en plein jour que timidement, dans le langage populaire. Les bravaches du romantisme, les Janin, les Gauthier, reculèrent épouvantés ; mais Hugo ne cligna pas de l’œil, il empoigna les substantifs et les adjectifs horrifiants, qui envahissaient la langue écrite dans les journaux et parlée à la tribune des assemblées populaires ; et prestidigitateur merveilleux il jongla à étourdir les badauds, avec les immortels principes de 1789 et les mots teints encore du sang des nobles et des prêtres. Il ouvrit alors au romantisme une carrière qu’il fut seul à parcourir ; ses compagnons littéraires de 1832, plus timides que les bourgeois dont ils s’étaient moqués, n’osèrent pas suivre celui qu’ils appelaient leur maître.

Victor Hugo, lui-même, semble, avoir été intimidé par les expressions révolutionnaires qu’il maniait et