Page:Lafargue - Pamphlets socialistes, 1900.djvu/162

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qui, pieds nus, allait par les chemins pierreux et, monté sur une douce ânesse, entrait triomphalement à Jérusalem ; du Christ qui suspendait à ses haillons divins un peuple de misérables, qui terrorisait les prêtres et les riches et prêchait l’espoir aux pauvres sans espérance ! Combien différent du Christ qu’avaient douloureusement enfanté les esclaves de la Rome antique ; du Christ, leur compagnon de chaîne, crucifié, ainsi que les héroïques gladiateurs de Spartacus, le révolté terrible ! Combien différent du triste et maigre Christ du Moyen Âge, qui symbolisait les misères des jacques ! — Ces Christs sublimes, grands comme les douleurs populaires, nés, torturés, crucifiés dans le cœur des masses plébéiennes, ces Christs sont morts !… Il ne reste de vivant que le Jésus frisé de la Renaissance, le Jésus bourgeois, le Jésus des grandes dames et des courtisanes, le fade jeune homme blond.

Le pape scandalisé demeurait bouche béante.

—Salut, noble étranger ! lui dit Jésus. À ton air ébahi je devine que tu es un nouveau venu. Quelle chance ! nous allons avoir des nouvelles de la terre. Apportes-tu les derniers numéros de la Revue des modes ? Dieu soit béni et toi aussi, vénérable vieillard. Allons, déballe ton paquet ! mes tendres colombes sont plus curieuses que des jeunes singes. Les femmes de la terre vont-elles toujours court vêtues, portent-elles encore des polissons ? J’adore ce costume. C’est leste, psitt !

—Seigneur, je venais vous parler des intérêts de votre sainte Église, interrompit le Pape.

—Les Parisiennes teignent-elles leurs crinières en