Page:Lafargue - Pamphlets socialistes, 1900.djvu/89

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soit moins désirable parce qu’on l’achète? N’achète-t-on pas le pain qui soutient le corps, le vin qui réjouit le cœur? N’achète-t-on pas la conscience du député, les prières du prêtre, le courage du soldat, la science de l’ingénieur, l’honnêteté du caissier?


Dieu-Capital maudit les prostituées, folles de leur corps, qui se vendent pour quelques francs, quelques sous aux travailleurs et aux soldats; plus re­dou­table que la peste, il martyrise les brutes du plaisir des pauvres, il empoi­sonne la chair des chauves-souris de Vénus, il les livre aux Alphonses du ruisseau qui les battent et les pillent; il les soumet à l’inspection de la police, ainsi que la viande pourrie des marchés.


Mais la courtisane qui possède la grâce efficace du Dieu-Capital se bouche les oreilles à vos morales et ridicules déclamations plus vaines que les cris des oies qu’on plume: elle enveloppe son âme d’une glace polaire que le feu d’au­cune passion d’amour ne fond; car malheur, trois fois malheur à la Dame aux Camélias, qui se donne et ne se vend pas; Dieu se retire à la courtisane amou­reuse qui se pâme de plaisir; si son cœur palpite, et si ses sens parlent, l’acheteur d’amour qui succède à l’amant de cœur, dépité et désappointé, au lieu d’une marchandise fraîche ne trouve qu’un corps échauffé et épuisé.


La courtisane se cuirasse d’attirante froideur, pour que sur son corps de porcelaine, où la passion ne bat de l’aile, ses acheteurs usent leurs lèvres brû­lantes sans en altérer la fraîcheur; c’est de la fermentation de leur sang qu’ils doivent tirer l’ivresse d’amour, et non de la